La lecture en grappillage
Lire des classiques pour reconnaître ses classiques
«Si l’étincelle ne jaillit pas, rien à faire: on ne lit pas les classiques par devoir ou par respect, mais seulement par amour. Du moins hors de l’école: celle-ci a pour rôle de faire connaître, tant bien que mal, un certain nombre de classiques, parmi lesquels (ou par rapport auxquels) chacun pourra reconnaître ensuite ses classiques. L’école est tenue de nous donner des instruments pour opérer un choix; mais les choix qui comptent sont ceux qui se font après et en dehors d’elle.
C’est seulement au fil de lectures désintéressées que nous pouvons un jour tomber sur le livre qui deviendra notre livre.»
Italo Calvino in Pourquoi lire les classiques (Gallimard/Folio, 2018)
Le goût de la lecture
«Il a suffi de deux livres, non pour me donner le goût de la lecture, mais pour me révéler à quoi servait la littérature. En quatrième, Mme Bruisset nous propose Chroniques martiennes, un recueil de nouvelles de Ray Bradbury; bien plus courtes que celles de Balzac, certaines tiennent en une page. Plus question de calèches, de noms à particules, de pourpoint ou de billets à ordre, nous partons sur la planète Mars. […]
La même année, Mme Bruisset nous impose Andromaque de Racine, dont elle est bien la seule à comprendre l’argument. […]»
Tonino Benacquista in Porca miseria (Gallimard, 2022)
Le désir de lire
«Comment donner à mes élèves le goût de lire? Comment parvenir à entretenir chez les uns et à insuffler chez les autres un désir de littérature qui se développerait aussi en dehors et au-delà de l’école, désir qui les inciterait à poursuivre leurs découvertes? Comment faire mesurer à ces adolescents que ce que l’on étudie en classe n’est qu’une infime partie de biens inépuisables, qui leur appartiennent et dont ils pourront s’emparer à leur guise quand le temps sera venu?
Je m’interroge sur mon propre désir de lire: qu’est-ce qui me pousse à renouveler indéfiniment l’expérience de la lecture, à arpenter des librairies et des bibliothèques, à me tenir à l’affût de nouveautés littéraires? C’est toujours la certitude qu’un plaisir pluriel se profile, d’ordre émotionnel, intellectuel, esthétique. C’est parfois la promesse de conversations avec d’autres lecteurs, dans l’écoute de conseils, de réactions enthousiastes, ou d’émotions nuancées. Lire, alors, ce sera resserrer des liens, partager, prendre part à un dialogue au cours duquel on parle d’ouvrages pour apprendre aussi à mieux se connaître. D’autres fois encore, c’est l’envie plus confuse de capter la mesure du temps en y faisant une halte. Lire, c’est s’offrir une pause. […]»
Bénédicte Shawky-Milcent in La lecture, ça ne sert à rien! – Usages de la littérature au lycée et partout ailleurs… (PUF, 2016)
Scolariser la lecture
«Or aucune autre structure que l’école ne peut avoir un impact massif en direction des non-lecteurs. Déscolariser la lecture est donc un leurre. Et on aura beau multiplier les lieux de lecture extrascolaires, dire et redire qu’avant tout la lecture doit être un plaisir et un loisir, on ne changera pas grand-chose sans le concours de l’école, dans la mesure où les non-lecteurs ne fréquentent pas les nouveaux lieux de lecture, ni les endroits où l’on donne à la lecture un statut non utilitaire. Il faut donc en revenir à l’école si l’on veut s’adresser véritablement aux non-lecteurs: scolariser la lecture.
Mais la scolariser justement en modifiant son statut. En la faisant échapper partiellement au carcan didactique, en laissant un grand espace de liberté aux enfants. Un espace. Pas une liberté totale. Tout le monde a constaté, en effet, qu’implanter des bibliothèques dans les établissements scolaires (les BCD, par exemple) faisait lire davantage les lecteurs, mais ne modifiait guère le comportement des non-lecteurs. Or les enseignants, qui connaissent bien les enfants, savent que proposer ne suffit pas, qu’il faut également inciter. […]»
Christian Poslaniec in Donner le goût de lire (La Martinière jeunesse, 2001)
Lectures poétiques de l’enfance
«Ainsi, pour l’enfant, toute lecture – à condition qu’elle résiste un peu – est poésie. Le langage n’a pas encore acquis sa transparence parfaite, il ne joue pas encore son rôle de pur vecteur et se présente dans sa matérialité. L’enfant s’enchante d’un mot étrange, il aime à ne pas comprendre encore mais seulement pressentir. Convoquant tout à la fois les deux réalités du mot et de la chose, l’enfant continue de jouer lorsqu’il lit. Il explore les rapports ambigus du monde des mots et du monde des hommes.»
Frédérique Pernin in Petite philosophie du lecteur (Editions Milan, 2008)
Apprendre aux enfants à se passionner pour la lecture
«[…] L’élite ne doit plus avoir le monopole des bonnes fictions. Elle a le devoir de les partager et de les propager le plus largement possible. Concrètement, cela veut dire: à l’école, ne plus se contenter d’inculquer aux enfants le “canon” de leur pays, en magnifiant la littérature nationale par patriotisme et en la massacrant par l’analyse. Mais: apprendre aux enfants à se passionner pour la lecture tout court. Leur donner le désir – et la capacité – de dévorer la littérature du monde entier. S’ils ne voient pas en quoi lire nous fait du bien, ils ne s’y intéresseront pas; nous avons donc intérêt à savoir en quoi lire nous fait du bien.»
Nancy Huston in L’espèce fabulatrice – Un endroit où aller (Actes Sud Littérature. 2011).
La lecture est un je d’enfant
«Je suis assis à mon bureau d’école. L’odeur de craie, celle du petit peuple des écoliers, aromatise mon devoir quotidien. Former un “o” sur papier grossier au bout de ma plume estafilée du sang violet puisé dans le réservoir de porcelaine. Relier la première lettre à une seconde, un “u”. Cette union anodine, je la fixe un instant, juste avant que ne fleurisse dans ma tête un bruit d’explosion: “o” et “u” font “ou”. Je me redresse. M’extasie. Pour la première fois ce qui m’est donné à lire bruit, fracasse, vacarme et je pousse à haute voix ce “ou”devenu “OUOUOUOUOUH!”, le hurlement du loup. La lecture est un je d’enfant.»
Pef in Petit éloge de la lecture (Gallimard/Folio, 2015)
Deux raisons de se réjouir de lire
20. On peut voyager depuis son canapé dans des mondes qui existent.
21. Et des mondes qui n’existent que dans les livres.
Guillaume Long in 101 bonnes raisons de se réjouir de lire (La Joie de lire, 2009)
Les droits imprescriptibles du lecteur
1. Le droit de ne pas lire.
2. Le droit de sauter des pages.
3. Le droit de ne pas finir un livre.
4. Le droit de relire.
5. Le droit de lire n’importe quoi.
6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
7. Le droit de lire n’importe où.
8. Le droit de grappiller.
9. Le droit de lire à haute voix.
10. Le droit de nous taire.
Daniel Pennac in Comme un roman (Gallimard/Folio, 1995)
La lecture, une palette de sentiments
«Lire, c'est à la fois frissonner, se faire peur, rêver, espérer, redouter, détester, aimer: cette palette de sentiments que l'on retrouve dans toutes sortes de lectures – polars, fantasy, poésie, grands classiques...
[…] Les livres qu'on a aimés restent des compagnons fidèles tout au long de notre vie. On peut les perdre de vue ou les oublier, mais ils ne sont jamais vraiment loin, car ils portent en eux une partie de nos souvenirs, voire de nous-même.»
Martine Gasparov (textes) & Alfred (illustrations) in Lire, à quoi bon? (Gallimard, 2020)