Regard d’apprentis géomaticiens sur le transfert des apprentissages
Le métier de géomaticien, associant la saisie et le traitement de données permettant la mise en lien entre le cadastre et la réalité du terrain, mêle théorie et pratique et favorise ainsi probablement de multiples ponts entre les savoirs.
Rencontre, pendant le cours de culture générale donné par Bénédicte Bregy à l’Ecole professionnelle commerciale et artisanale de Sion (EPCA), avec cinq jeunes en 4e année de formation pour en savoir plus sur leur manière de tisser des liens entre le monde scolaire et professionnel. Arno Giroud, Fabrice Praplan, Joël Arluna, Lucas Hugon et Samuel Carrupt ont accepté de livrer leur regard sur le transfert d’apprentissage dans le cadre de leur formation duale et à propos du sens donné aux savoirs en primaire, au CO et pour certains en EPP.
Joël Arluna, Samuel Carrupt, Arno Giroud, Fabrice Praplan et Lucas Hugon
Qu’est-ce qui les a incités à vouloir devenir géomaticiens? Tous ne connaissaient pas l’existence de cette profession, et de toute façon ils ignoraient tout du théodolite ou tachéomètre, dès lors les stages ou l’aiguillage familial ont été déterminants dans l’étape de l’orientation. A l’unisson, ils disent avoir opté pour cette formation, parce qu’elle permet d’alterner les activités au bureau et sur le terrain. Ce qui les a également motivés, c’est la polyvalence au quotidien et le fait de pouvoir arrêter de se former après le CFC ou décider de poursuivre en devenant techniciens ou ingénieurs.
«La théorie éclaire parfois la pratique, mais l’inverse arrive aussi.»
Arno
Pendant l’apprentissage
Estiment-ils que suffisamment de liens sont tissés entre ce qu’ils apprennent à l’école et en entreprise? Plusieurs supposent que l’automatisation de certaines mesures, notamment grâce au GPS, facilite leur job, mais complexifie probablement un peu leur compréhension des calculs, puisqu’ils ne sont plus effectués régulièrement à la main et avec des instruments mécaniques. Pour Fabrice, certains savoirs transmis à l’école, en particulier au niveau des mesures, sont dépassés, et plusieurs thématiques intéresseraient davantage le géologue que le géomaticien. «Le plus utile s’apprend au bureau et sur le terrain, mais l’école apporte des compléments théoriques indispensables», constate Joël. Lucas comprend la nécessité de savoir maîtriser des calculs que désormais les outils et logiciels de mesure font automatiquement grâce à la technologie. Samuel insiste sur l’importance de comprendre ce que les machines font, car il ne voudrait absolument pas être un géomaticien en mode robot. Pour sa part, Arno voit une dimension historique intéressante en devant apprendre certains contenus même un peu datés par rapport à la pratique. Ils se rejoignent toutefois pour introduire dans les cours les nouveaux instruments, dont le drone et le laser scan.
«Dès que l’on met en pratique, tout devient logique.»
Fabrice
Les liens théorie-pratique ont-ils gagné en clarté au fil des ans? «Très clairement oui, et c’est devenu nettement moins flou à partir de la 2e année en découvrant progressivement les termes techniques en situation», explique Fabrice. Et d’ajouter: «Dès que l’on met en pratique, tout devient logique, mais il faut avoir des bases théoriques et au départ on doit accepter d’apprendre presque par cœur sans tout saisir.» Joël complète le propos avec un autre argument: «Les cours interentreprises, au programme dès la 2e année, aident à comprendre pourquoi on doit apprendre certaines choses qui nous semblaient inutiles.» Pour Lucas, il y a toutefois une nuance: «On devrait aborder les notions en même temps au bureau, sur le terrain et à l’école, toutefois c’est certainement compliqué à mettre en œuvre.» Arno estime que les liens se font dans les deux sens: «La théorie éclaire parfois la pratique, mais l’inverse arrive aussi, en revanche on devrait mettre plus l’accent sur ces liens en cours interentreprises.» Samuel partage cet avis, tout en indiquant que tout devient fort heureusement plus évident en 4e année: «Réviser permet de voir des liens qu’on n’avait pas perçus avant.»
«Avoir le temps d’apprendre nous évite d’être complètement largués.»
Joël
Tous mentionnent qu’être dans une classe à faible effectif présente l’avantage d’offrir un meilleur cadre pour oser poser des questions en cours et permet aux enseignants de mieux connaître les forces et les faiblesses de chaque apprenti. «Avoir le temps d’apprendre nous évite d’être complètement largués», constate Joël. De plus, la dynamique du petit groupe ainsi que le fait d’avoir en commun des intérêts scolaires et professionnels sont selon eux favorables à l’entraide, d’autant qu’ils ont plus de tâches à effectuer à domicile que lorsqu’ils étaient au CO. Chaque maître d’apprentissage ayant une approche personnelle de ce qui doit être maîtrisé, les apprentis relèvent une grande disparité des niveaux, en partie comblée par les discussions entre eux, avec les profs à l’école et avec leurs collègues en entreprise, ce qui contribue à l’articulation entre savoirs théoriques et pratiques.
Avant l’apprentissage
Avec leur expérience en tant qu’apprentis géomaticiens, quel regard portent-ils sur les maths à l’école obligatoire? «Au CO, on a abordé des notions que je n’utiliserai vraisemblablement jamais, alors qu’ici elles sont un peu plus reliées à notre profession», constate Samuel. Et Arno de rectifier: «Totalement reliées, mais le fait d’avoir vu au CO certains chapitres relatifs aux mesures nous a assurément aidés par exemple en trigonométrie, car on avait acquis les bases.» Pour Fabrice, la comparaison avec l’école obligatoire est difficile, car «les mathématiques qui servent au géomaticien sont spécifiques». Joël fait remarquer que «la transition se fait à partir des notions apprises en géométrie à l’école obligatoire». «Le fait que la 1re année d’apprentissage démarre par une sorte de révision est idéal pour avoir une zone tampon pour s’adapter», relève pour sa part Lucas.
«On devrait aborder les notions en même temps au bureau, sur le terrain et à l’école.»
Lucas
Entre l’apprentissage et la scolarité obligatoire, ce qui change selon Joël, c’est que les enseignants parlent d’un domaine dans lequel ils travaillent, ce qui transforme leur rapport au savoir. Pour Arno, les profs ont néanmoins toujours tendance à trouver les choses logiques, alors que pour l’élève ou l’apprenti, ça ne l’est pas forcément. Samuel pense même que les profs qui sont ingénieurs et maîtrisent donc parfaitement leur domaine d’enseignement peuvent être parfois encore plus en décalage avec ce qu’ils imaginent que les jeunes savent, oubliant que même s’ils cherchent par eux-mêmes ils peineront parfois à trouver les réponses sans accompagnement. Fabrice a l’impression qu’en apprentissage le programme est suivi avec plus de souplesse, donc certains points peuvent être développés. La balance entre le poids de la note et le plaisir d’apprendre est à leurs yeux plus équilibrée en apprentissage, du fait qu’ils étudient dans le domaine qu’ils ont choisi et ont plus de maturité.
A partir de leur expérience de vie, s’ils devaient adapter le programme de l’école obligatoire pour qu’il fasse davantage sens aux yeux des élèves, que changeraient-ils? Fabrice et Lucas mettraient l’accent sur les langues, en montrant combien c’est utile dans la vie professionnelle et personnelle. Pour Joël, c’est surtout l’enseignement de l’anglais qui devrait être renforcé, mais sous l’angle de la communication. «En effet, beaucoup de programmes informatiques ne sont que dans cette langue et cela concerne tous les métiers», précise Lucas. En tant qu’apprentis géomaticiens, tous auraient accordé plus d’importance au dessin, non pas artistique, mais technique, ainsi qu’à l’informatique et à la géographie.
«Réviser permet de voir des liens qu’on n’avait pas perçus avant.»
Samuel
Quelles seraient leurs pistes pour faciliter le tissage de liens entre ce qui est appris en cours et la vie réelle à l’école obligatoire? «Peut-être que les enseignants devraient surtout expliquer pourquoi on doit apprendre certaines notions qui ne nous serviront peut-être à rien, mais qui nous permettent d’avoir des bases générales pour nous orienter ensuite dans n’importe quel domaine professionnel», suggère Samuel qui est convaincu qu’en avoir conscience pourrait aider certains élèves qui ne perçoivent pas de sens à certains apprentissages. Tous privilégieraient l’interrogation du sens de ce qui doit être appris, considérant qu’en apprentissage les processus de mémorisation et de compréhension sont un peu mieux répartis. Ils seraient favorables à l’idée d’inviter à l’école obligatoire des apprentis ou des étudiants pour parler de ce qu’ils font, de façon à montrer concrètement à quoi ça sert d’apprendre telle ou telle branche. Ils intensifieraient le contenu des Journées des métiers. Arno conseillerait aux jeunes de s’intéresser aux séances d’information Passeport Info, précisant que le métier de géomaticien y est présenté par des professionnels sur un mercredi après-midi en même temps que celui de dessinateur en génie civil ou en architecture. Les cinq futurs géomaticiens mentionnent combien il est important de profiter des stages pour poser des questions. L’orientation, reliant formations et professions, c’est peut-être en effet l’une des stratégies pour construire des liens.
Propos recueillis par Nadia Revaz