Regard de Carole Goettier, logopédiste au CDTEA, sur les mots
Carole Goettier est logopédiste au CDTEA (Centre pour le développement et la thérapie de l’enfant et de l’adolescent) de Sierre qui est placé sous la responsabilité d’Elodie Lovey.
Dans le dossier du mois articulé autour des mots, il semblait intéressant d’avoir le regard d’une spécialiste de la thématique, de façon à collecter quelques pistes pouvant enrichir la réflexion des enseignants.
Tant elle appréciait l’univers scolaire alors qu’elle était élève, la logopédiste aurait pu devenir enseignante, toutefois Carole Goettier ne s’envisageait pas face à un groupe classe, ayant envie de tisser une relation plus privilégiée avec chaque enfant. Lorsqu’elle a découvert en quoi consistait la logopédie, elle a tout de suite su que cette profession pourrait lui convenir. Ce qu’elle apprécie par-dessus tout dans son métier, c’est de devoir s’adapter à chaque enfant pour chercher des solutions sur mesure. Si son activité ne concerne évidemment pas seulement les troubles de langage associés à un manque de mots ou à un flou dans le choix de ceux-ci, trouver des stratégies pour enrichir le vocabulaire des enfants et des adolescents fait partie de son quotidien. Sa bibliothèque professionnelle contient du reste tout un rayonnage spécifiquement dédié à ce domaine (cf. encadré avec des propositions d’outils).
Carole Goettier privilégie les jeux dans ses consultations.
INTERVIEW
Dans votre pratique professionnelle, remarquez-vous un appauvrissement du vocabulaire de base des enfants et des adolescents ou plutôt une plus grande distance entre ceux qui ont énormément de mots à leur disposition et les plus en difficulté au niveau scolaire?
Ne rencontrant que des enfants ayant des troubles de langage, je ne peux pas confirmer ce constat relatif à la variabilité de la maîtrise du vocabulaire. Ce que j’observe néanmoins, c’est qu’il y a un effet écran renforcé peut-être par un effet Covid. Dans certaines familles, les enfants ont peu d’échanges verbaux avec les adultes et comme le vocabulaire s’apprend prioritairement dans l’interaction, cela a un impact sur le nombre de mots maîtrisés. Les occasions propices aux apprentissages manquées à cause d’un écran interposé sont désolantes.
«La reformulation est une stratégie essentielle au niveau lexical.»
Carole Goettier
En logopédie, la notion d’un temps nécessaire pour pouvoir progresser au niveau lexical est-elle capitale?
Sans la pression du programme scolaire, nous avançons au rythme de chacun. En séance, je constate que les parents voudraient fréquemment que leur enfant donne vite de bonnes réponses, alors qu’il faut commencer par laisser place au questionnement. Les problématiques liées au lexique, touchant à la structuration de la langue, prennent du temps pour s’estomper, ce qui est très différent d’un trouble d’articulation purement mécanique.
Collaborez-vous régulièrement avec les enseignants titulaires ou les enseignants spécialisés?
Le mode de partenariat mis sur pied est spécifique à chaque situation. Pour ma part, je suis convaincue de la nécessité de cette collaboration, sachant que les thérapies que nous proposons au CDTEA sont au mieux hebdomadaires. Ce n’est pas en 45 minutes une fois par semaine que l’on peut parvenir à des résultats rapidement visibles, aussi il est important de pouvoir bénéficier du soutien des familles et des enseignants. Il m’arrive ainsi d’intégrer en séance des mots qui ont posé des problèmes en situation. Réactiver des notions dans des contextes différents stimule leur acquisition. Souvent les élèves manquant de vocabulaire peinent à comprendre les consignes, aussi en travaillant ensemble l’aide est plus efficace.
Parmi les élèves interviewés dans le cadre de ce dossier (cf. pp. 12-13), plusieurs ont indiqué qu’ils apprécieraient que les adultes, parents et enseignants, reformulent avec d’autres mots ce qu’ils ne comprennent pas plutôt que de simplement répéter la même chose plusieurs fois et cela valait tout particulièrement pour les consignes. Selon vous, ont-ils raison d’émettre ce souhait?
Absolument, car la reformulation est une stratégie essentielle au niveau lexical. De fait, pour apprendre du vocabulaire, il faut pouvoir créer des liens avec des mots déjà connus. Si dans une consigne un élève ne comprend pas la signification du verbe «barrer» et qu’on lui propose de remplacer par «tracer», il va alors associer les deux mots, comprenant dans un premier temps qu’ils veulent dire presque la même chose. Il s’agit de reformuler et de répéter. Pour être mémorisé, un nouveau mot doit être vu ou entendu entre 6 et 7 fois. Plus il sera utilisé dans des contextes différents, plus sa mémorisation sera facilitée. Une autre dimension à valoriser selon moi, c’est le questionnement, parce qu’il est primordial que les enfants osent demander la signification d’un mot, sans avoir la sensation d’être nuls.
Cela vous étonne-t-il si je vous dis que les douze élèves rencontrés étaient en majorité incapables de formuler leurs stratégies pour apprendre du vocabulaire et trouvaient qu’on leur donnait peu de pistes pour acquérir de nouveaux mots?
Je ne suis pas du tout surprise, car régulièrement lorsque je demande aux enfants ou aux adolescents comment ils font pour apprendre, ils répondent avec un «je ne sais pas». Je note cependant que l’attention accordée aux stratégies d’apprentissage est variable selon les centres scolaires et les enseignants. Les enfants qui ont conscience des mots qu’ils ne connaissent pas, ce qui n’est pas le cas de tous, ne savent pas forcément où aller chercher des indices dans le contexte ou comment repérer des ressemblances pour parvenir à des déductions.
Préconiseriez-vous une approche du vocabulaire en classe autour de thèmes ou vaut-il mieux partir des connaissances de l’élève pour enrichir sa boîte à mots?
Je pense que l’idéal est de varier les chemins pour apprendre. Le travail par champ sémantique permet de faire des liens et partir de ce que connaît l’élève offre une complémentarité. Avec les plus petits, la catégorisation est fondamentale pour structurer la mémorisation. Une journée hors de l’école est l’occasion idéale pour découvrir les mots d’un domaine spécifique, donc pourquoi ne pas s’en saisir pour faire des activités visant à étendre le vocabulaire. Avec les plus grands, on profitera de l’étymologie pour étoffer la connaissance de la langue. Au collège, j’ai eu la chance d’avoir un professeur passionné d’étymologie et cela m’a donné une conscience différente des mots. Un élève allophone, par exemple italien, pourra s’appuyer sur les ressemblances entre nos deux langues. Une approche en lien avec l’orthographe peut aussi être une piste à explorer.
«Avec les plus grands, on profitera de l’étymologie pour étoffer la connaissance de la langue.»
Carole Goettier
Les élèves rencontrés estiment que la dimension ludique de l’apprentissage du vocabulaire est très peu présente à l’école. De nouveaux mots s’apprennent-ils plus facilement en jouant?
Vu mon environnement de travail (ndlr: elle est entourée de jeux), je pense que la réponse est évidente. Le jeu rend l’apprentissage plus agréable tant pour les plus petits que pour les plus grands en fin de primaire ou au CO. Il permet de travailler la répétition sans s’en apercevoir et comme celle-ci est essentielle à la mémorisation, c’est un atout à prendre en compte. Avec un jeune rencontrant des difficultés pour comprendre le langage élaboré, notamment les métaphores, le travail proposé est également plus motivant s’il est un peu rigolo. Et si l’on ne dispose pas du jeu adapté à la problématique, il est possible d’en créer un avec l’enfant ou l’adolescent, ce qui est très stimulant. On peut également imaginer un coffre aux trésors, constitué de nouveaux mots à faire découvrir aux autres en créant des phrases ou des histoires. Le carnet de vocabulaire est adapté aux plus grands afin qu’ils notent une dizaine de mots à retenir pour chaque nouveau thème de géo, d’histoire ou de sciences. Pour les plus petits, la même idée peut être transposée, l’idéal étant alors que les enseignants indiquent les mots résumant la matière abordée, car pour les élèves en difficulté ce travail est trop complexe et les livres scolaires contiennent tellement d’informations qu’il est difficile de se repérer dans une telle savane. En séance, j’adore voir un enfant tourner les pages de son cahier de vocabulaire pour me montrer le lien avec une lettre ou un son d’un autre mot déjà copié. Quand on comprend comment les mots «réseautent» entre eux, tout devient plus évident. Inventer des mots, par exemple à partir de la terminaison -teur pour imaginer de nouveaux métiers ou en mélangeant des débuts et des fins de noms d’animaux pour créer un monde imaginaire, permet de mieux comprendre comment ils sont fabriqués tout en développant la flexibilité du cerveau. Avec des fragments de sens, on peut ensuite la plupart du temps s’en sortir au niveau de la compréhension globale sans avoir à chercher dans le dictionnaire.
Lire est-il essentiel pour l’enrichissement du vocabulaire?
Plus l’élève va lire, plus il croisera de nouveaux mots et aura ainsi des occasions de les apprendre, c’est évident. Si les parents et les enseignants racontent plusieurs fois la même histoire aux plus petits en s’appuyant sur les illustrations, cela va les aider à fixer les mots. Pour les plus grands, plus ils lisent, plus leur vocabulaire sera précis. Lire, c’est déchiffrer et comprendre, mais si trop de mots s’avèrent totalement inconnus, l’effort devient purement technique et la perte d’informations trop grande pour parvenir à la compréhension du récit. Et c’est là qu’on tombe dans le cercle vicieux, à savoir que moins on a de facilité à lire, moins on lit et moins on enrichit son vocabulaire.
En quoi le support imagé d’un livre ou de cartes à jouer est-il précieux?
Le support imagé présente l’avantage de stabiliser l’attention. Apprendre le vocabulaire en s’appuyant sur des images facilite la construction de la pensée. Les autres actions à privilégier sont la catégorisation et la mémorisation. Classer dans son esprit les mots qui vont ensemble, par exemple tout ce qui est rond, simplifie leur assimilation.
A vos yeux, a-t-on suffisamment conscience du lien entre maîtrise du vocabulaire, mémorisation et réussite scolaire?
Non, pas du tout. On oublie trop souvent que la richesse du vocabulaire est davantage corrélée à la réussite scolaire que le QI. Le manque de mots pour exprimer sa pensée peut de plus conduire à une forme d’agressivité et on le voit très clairement avec les jeunes enfants dysphasiques. Ils expriment physiquement leur frustration n’ayant pas les mots pour le faire, et c’est impressionnant de voir le changement de comportement dès qu’ils maîtrisent un peu mieux le langage oral.
Si fallait ne retenir qu’une piste, qu’est-ce qui vous paraît primordial pour éveiller chez l’enfant l’envie d’enrichir son vocabulaire?
Je crois que l’essentiel, c’est d’être curieux et gourmand de découvertes. Avec cet état d’esprit, on a toujours envie d’apprendre de nouveaux mots, d’autant que l’on n’aura jamais fini d’en stocker dans sa mémoire.
Propos recueillis par Nadia Revaz
Des idées pour enrichir le vocabulaire
Certaines suggestions existent en versions différenciées selon les thèmes ou les âges (Vocabulon Junior, Doodle Harry Potter ou calendrier Un mot par jour).
Des jeux
Vocabulon des petits – 6 jeux en 1 pour découvrir les mots (Mégableu, en partenariat avec Larousse)
Texto – Une lettre, un mot, illico (Gigamic)
Laoupala – Jeu qui va vous en faire voir (Cocktail game/Interlude)
Taboo junior – Jeu des mots interdits pour les enfants (MB jeux)
Dobble / Spot it game – Jeu d’observation et de rapidité (Asmodee)
Time’s up – Pour les plus petits (Asmodee)
Course à l’apprentissage – Travailler les capacités d’évocation, de mémorisation et d’attention (Ortho éditions)
Une histoire
Le labyrinthe des histoires – Choisis un chemin, raconte une histoire par Madalena Matoso (Nathan)
Un calendrier
J’apprends à lire – Un jeu par jour (Play Bac)