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Allier courtoisie et fermeté pour renouer avec l’autorité à l’école

Dans deux textes d’une rare clairvoyance écrits à la fin des années 1950, Hannah Arendt annonçait, dans le premier (1958), la crise de l’éducation et, dans le second (1959), celle de l’autorité. Tout ce que la philosophe avait présagé est aujourd’hui advenu. La crise de l’autorité a atteint tous les domaines de la société; elle a frappé de plein fouet l’école contemporaine. Dans combien de classes aujourd’hui, les professeurs s’épuisent-ils à tenter de créer les conditions permettant de faire cours, souvent sans y parvenir?

La philosophe définit l’autorité en l’opposant à deux autres concepts: elle n’est pas synonyme de coercition – et moins encore de force – celles-ci, en effet, interviennent précisément lorsque l’autorité a échoué; mais elle l’oppose également à la persuasion, relation qui ne peut exister que de façon symétrique entre des individus reconnus comme égaux. Ainsi l’autorité n’a-t-elle nullement besoin d’être blessante, vexatoire ou humiliante – et en ceci elle s’oppose à la force ou à la brutalité; mais elle se doit d’être ferme, résolue et sans appel – et en cela, elle s’oppose à la discussion ou à la négociation. L’exercice de l’autorité peut parfaitement s’accompagner de la plus exquise des courtoisies, mais elle ne doit jamais se départir de la plus ferme des déterminations. Cette alliance entre courtoisie et fermeté n’est-elle pas la marque de la véritable autorité? A l’école, les professeurs sont très légitimement les détenteurs d’une l’autorité, celle conférée par l’exercice d’une mission essentielle que l’Etat leur a confiée: l’éducation et la formation de la jeunesse par le moyen d’une transmission raisonnée des connaissances. Ainsi, la place qu’ils occupent et le rôle qu’ils exercent sont-ils très clairement définis. Leur autorité face aux élèves répond exactement à la définition qu’en a donnée Hannah Arendt. Ce n’est pas un rapport de force; le professeur ne doit disposer d’aucun pouvoir de coercition ou de domination sur son élève – aussi est-il essentiel, à notre sens, qu’il ne soit pas détenteur du pouvoir de sanction. Mais l’enseignant et son élève ne sont pas placés sur un pied d’égalité; la relation qu’ils entretiennent est hiérarchique et donc, nécessairement, verticale. Elle exclut ainsi les discussions et les interminables palabres. A l’école, ni le contenu des enseignements, ni les règles de la vie commune ne sont négociables.

 

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«A l’école, ni le contenu des enseignements, ni les règles de la vie commune ne sont négociables.»
Jean-Pierre Bellon

 

 

L’examen de certaines situations vécues par les enseignants permet de constater la pertinence de l’analyse arendtienne et sa parfaite adaptation au monde de l’éducation. Supposons une situation ordinaire de la vie d’une classe. Un professeur demande à un élève d’obéir à une injonction: il veut que celui-ci cesse de bavarder, qu’il range ses affaires, qu’il se mette au travail… Imaginons qu’à cette fin, l’enseignant cherche à contraindre l’élève en usant de reproches, de menaces, de propos vexatoires; ou bien imaginons qu’il choisisse de convaincre l’élève de se plier à sa demande en développant une série d’arguments. En procédant de la sorte, dans les deux cas et sans s’en rendre compte, le maître offre à l’élève toutes les occasions lui permettant de se dérober à son injonction. Face à des reproches, en effet, l’élève cherchera à se défendre; face à des arguments, il s’autorisera à développer des objections. Dans les deux cas, non seulement l’injonction tardera à être observée, mais le professeur se sera mis lui-même en difficulté devant sa classe. Qu’il se perde en reproches et en accusations, ou qu’il s’égare dans d’inutiles palabres, dans tous les cas, c’est son autorité devant la classe qui aura été mise à mal. A l’école, l’usage de la coercition comme le recours à la persuasion se révèlent, dans bien des cas, inefficaces mais ils sont toujours parfaitement ruineux pour l’autorité du professeur. Si, dans une même situation, renonçant à user de la contrainte ou de la persuasion, le professeur s’était borné à énoncer précisément ce qu’il attendait de l’élève avec courtoisie et détermination, il n’aurait offert à celui-ci aucune échappatoire lui permettant de se soustraire à ses demandes, et il aurait, en même temps, conservé tout son crédit auprès de sa classe. Cet exemple nous montre très précisément comment l’autorité d’un professeur peut être mise à mal au sein d’une classe autant par l’usage de la contrainte que par celui de la persuasion. Dans combien de classes, aujourd’hui, les professeurs s’épuisent-ils pour tenter de convaincre leurs élèves de bien vouloir céder à leurs légitimes demandes, jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, ils se résolvent à faire usage de sanction? Mais cet exemple nous montre aussi quelles sont les conditions requises pour que l’autorité puisse réellement s’exercer à l’école.

  • Il faut d’abord qu’un cadre rigoureux soit défini, c’est-à-dire que soient précisément énoncées qu’elles sont les règles non négociables sans lesquelles la vie à l’école n’est pas possible.
  • Il faut ensuite que les enseignants disposent des moyens leur permettant de réagir en cas d’infraction constatée dans leur classe. Cela suppose que les professeurs soient guidés et accompagnés par des protocoles précis et adaptés aux principales situations vécues quotidiennement au sein des classes.
  • Il faut enfin que des modalités de traitement des infractions scolaires soient clairement définies. Il faut, à cette fin, que soit précisé le rôle de chacun des professionnels au cours du processus de traitement des incidents: qui signale? qui traite? qui sanctionne? Cela suppose d’abord que soient repensées les modalités de sanction au sein des établissements.

Reconnaître une autorité, c’est, pour tout individu, être conscient de ce qu’il est loisible de faire et ce qui est formellement proscrit; pour tout élève, c’est savoir exactement ce qui est permis au sein de l’école et, surtout, ce qui ne doit pas en aucun cas s’y produire. Or, il n’est pas certain que cette distinction soit aujourd’hui clairement assimilée dans l’esprit de tous les jeunes gens. Sans doute, est-ce l’une des manifestations les plus criantes de la crise de l’autorité à l’école: ce qui était jadis tacitement admis est devenu incertain; ce qui allait de soi, sans que cela soit dit, doit désormais être en permanence explicité. Renouer avec l’autorité à l’école ne devrait-il pas être considéré comme une priorité absolue pour tout citoyen soucieux de l’avenir des jeunes gens?


 L’auteur

Jean-Pierre Bellon, professeur de philosophie, est l’un des pionniers de la lutte contre le harcèlement scolaire en France. Avec Marie Quartier, il a adapté au
contexte francophone la Méthode de la Préoccupation Partagée (MPPFR) qui permet de traiter avec efficacité les situations de harcèlement scolaire. Son dernier ouvrage (2024) examine comment on peut Renouer avec l’autorité à l’école à partir de 10 mesures immédiates.

 

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