Les coulisses du film Graines d’égalité racontées par les élèves
Graines d’égalité, c’est un film de Mélanie Pitteloud, co-scénarisé et tourné avec la classe de Shannon Saad, enfin plus exactement la 7-8H qu’elle a eue d’août 2019 à juin 2021.
Récit d’un après-midi de partage le 11 juin 2021, d’abord en classe, puis lors de la découverte de l’exposition au Manoir de Martigny et à l’occasion de la projection du film dans une salle de l’école, exclusivement pour les élèves de Shannon Saad et quelques invités.
«Ana se faufile parmi l’équipe de football tandis que Fabio assume son goût pour le rose. En classe, Bleona s’insurge contre la règle d’accord des adjectifs où le masculin l’emporte sur le féminin.»
Avec tendresse et humour, le film aborde la thématique des stéréotypes de genre. Celui-ci s’inscrit désormais avec deux autres films, à savoir Femmes et fières, également de Mélanie Pitteloud, et Bilan d’une épopée, de Cilette Cretton (Via Mulieris), qui abordent plus spécifiquement l’histoire des droits des femmes, dans le cadre d’un dispositif de diffusion dans les classes valaisannes (Graines d’égalité pour les 7-8H et les deux autres films pour le secondaire I et II). Ces trois films sont accompagnés de dossiers pédagogiques créés en collaboration avec la HEP-VS et soutenus par le Service de l’enseignement et l’Office cantonal de l’égalité et de la famille.
En classe tout d’abord, les élèves évoquent leur rôle dans la co-scénarisation et le tournage du film. Tout a commencé par une visite de Mélanie Pitteloud, accompagnée par Mélissa Veuthey pour expliquer ce projet de film sur l’égalité. En fait, avant cela, l’enseignante leur avait déjà présenté des fiches de la brochure égalité pour aborder les stéréotypes de genre. La cinéaste leur avait également montré le court-métrage Turn it around (changement de direction), réalisé par l’ONG LAHAV et Boaz Olander avec des enfants en Israël, pour qu’ils aient une idée de l’ambitieuse aventure dans laquelle ils s’embarquaient. Les élèves ont alors raconté des anecdotes sur les inégalités de genre vécues à hauteur d’enfants, dont certaines se retrouvent dans le film. Raphael relate la sienne: «Avec la classe, nous étions allés en camp de ski et comme j’avais oublié mes pantoufles, j’ai dû mettre celles en rose, car il n’y en avait pas d’autres, et sur le moment je m’étais un peu plaint alors que ce n’était pas un problème.» Ana raconte qu’elle n’aime pas trop les robes et que grâce au court-métrage dans lequel a aussi tourné sa maman, ses parents ont mieux compris ses choix vestimentaires. Lors de la discussion, certains enfants parlent des stéréotypes au sein des familles, démontrant ainsi la diversité des clichés véhiculés sur l’égalité. A noter que certains ne savent absolument pas ce que leurs parents pensent de la thématique et comment ils l’ont vécue alors qu’ils étaient enfants. «Jusqu’à la projection officielle, tout ce qui concerne le film doit rester secret», chuchote un élève. Mélanie Pitteloud s’empresse de préciser dans un sourire qu’elle n’a jamais rien exigé de tel. Shannon Saad non plus n’a rien demandé.
Au cours de la discussion, les élèves mentionnent l’histoire de la fameuse lettre. Mais de quoi s’agit-il? Une élève résume: «Tout commence par la scène où la maîtresse écrit au tableau «Mille femmes et un homme sont joyeu…» et Kayla complète en écrivant «joyeuses»… Après, Mathilde va corriger en expliquant la règle de l’Académie française et Maxime a alors suggéré de leur écrire une lettre. Du coup, on a envoyé une vraie lettre, écrite au propre par Abir, à l’Académie française.» Au moment de la rencontre, ils n’avaient toujours pas reçu de réponse de l’institution en charge de la langue française.
«Je sais désormais quel est le travail du caméraman, du cadreur ou du preneur de son.»
Une élève
En parallèle à l’écriture du scénario, Mélanie Pitteloud explique avoir exploré avec les élèves l’improvisation et le mime d’émotions. «Après avoir appris à jouer la joie, la colère, la tristesse, on a passé des castings, car il fallait choisir le meilleur ou la meilleure pour chaque rôle», explique l’une des élèves-comédiennes. Certains enfants ont aussi une autre fonction sur le tournage, car il s’agissait de les familiariser avec l’ensemble des métiers du cinéma. «Je sais désormais quel est le travail du caméraman, du cadreur ou du preneur de son et c’est bien plus compliqué que ce que j’imaginais», analyse une élève.
L’esprit d’équipe arrive en tête de leurs enthousiasmes associés au tournage. Les élèves ont apprécié travailler avec Mélanie Pitteloud et Mélissa Veuthey, mais aussi avec Gaël Métroz qui gérait la caméra et l’étalonnage et Simon Forclaz qui s’occupait du son, etc. Catherine Abbet, enseignante de musique dans les écoles primaires de Martigny, a aussi joué un rôle central, étant donné qu’elle leur a fait travailler la chanson plus de 40 fois, car il fallait bien entendre toutes les paroles. S’il n’était pas simple de répéter certaines scènes, ce le fut encore moins avec le chant, d’autant que le Covid a bousculé l’enregistrement. «Le tournage était compliqué, mais on a persévéré et en collaborant on a réussi à tenir jusqu’au bout et quand on voit le résultat on se dit que ça valait vraiment la peine», analyse une élève. L’un de ses camarades complète: «Comme un film ne se tourne pas forcément de manière chronologique, il faut des experts capables de gérer tous les détails et c’est pour cela que même derrière un court-métrage il y a toute une équipe.» Ils sont plusieurs à souligner que tourner, c’était magique, et qu’avoir pu le faire à l’école l’était encore plus.
Les enfants expliquent que le tournage a permis de faire évoluer l’ambiance en récréation. «Avant, les filles jouaient avec les filles e les garçons avec les garçons, alors que maintenant on joue ensemble», observe une élève. L’enseignante confirme que grâce au film, les récréations ont gagné en mixité. «Ce film nous a unis et rendus égaux», poursuit un élève. La classe est aussi fière d’avoir co-créé un court-métrage qui permet à d’autres élèves, et pas seulement en Valais, car le film sera vu lors de festivals nationaux et internationaux, de prendre conscience des inégalités de genre. Tous retenteraient l’aventure, à une exception près. La seule voix dissonante, avec une teinte humoristique, estime qu’avec tout le boulot fourni, répétitif et épuisant, cela aurait dû être au moins un film d’action hollywoodien.
Ensuite, à quelques pas hors de la classe, avant son ouverture au public, visite de l’exposition présentant en images les coulisses du film. Là, les élèves sont assez émerveillés de se voir sur les murs de la salle et se remémorent des souvenirs. «C’est chouette, parce que ça montre bien les étapes du tournage et aussi nos moments de rigolade», commente une élève. L’enseignante et la cinéaste sont frappées de constater combien les enfants ont grandi depuis le début de ce projet. Mélissa Veuthey leur explique son métier de photographe, le choix des cadrages, du floutage des arrière-plans, etc.
«Ce film nous a unis et rendus égaux.»
Un élève
En fin d’après-midi le film, enfin terminé, est présenté à la classe, en présence de la direction et de Catherine Abbet. Mélanie Pitteloud résume les heures de travail pour finaliser le montage, étalonnage et mixage, puisque les élèves avaient visionné le film avant ces étapes de post-production et émis alors quelques suggestions d’amélioration. Raphaël Delaloye apporte des éclairages sur le montage sonore. Habitué désormais à repérer certains détails invisibles pour des non-experts, Salvador signale une petite incohérence. Wouah, quel œil! Visionnage aussi de quelques secondes du bêtisier. Moment de rire garanti. Patrice Moret, directeur des écoles communales de Martigny, a été épaté par la qualité du court-métrage et s’est adressé aux élèves: «Je suis très fier de vous, tout comme votre enseignante et les adultes présents dans cette salle, et vraiment ému par votre travail. Je vous dis BRAVO. C’est un petit mot qui dit beaucoup de choses.» Mélanie Pitteloud a réussi un beau travail avec Abir, Albion, Ana, Asier, Axel, Bleona, Camille, Eva, Fabio, Gabriella, Greta, Harish, Kayla, Kayliah, Lara, Mathilde, Maxime, Noah, Raphael, Ruben, Tamara et Salvador. Le tout aussi grâce à Shannon Saad qui n’a pas été seulement enseignante durant la préparation et la réalisation du film. Huit heures de tournage, des heures et des heures de travail autour du projet ont abouti à un court-métrage très réussi de 10 minutes. A voir absolument.
Nadia Revaz