Estelle Delaloye, bibliothécaire à l’ECCG-EPP de Sion
Ce mois, Résonances invite à une rencontre avec Estelle Delaloye, bibliothécaire à l’ECCG-EPP (Ecole de commerce, Ecole de culture générale et Ecole préprofessionnelle) de Sion, qui est aussi engagée à temps partiel non loin de là à la Médiathèque Valais dans le secteur de la documentation pédagogique.
Dans les couloirs, le chemin pour parvenir à la médiathèque scolaire, située en étage, est balisé. Hop, on ouvre la porte et on découvre un espace vaste, agréable et lumineux. Dans les rayons, le repérage au milieu des thématiques (beaux-arts, photographie, médecine, histoire, littérature…) est aisé. Il y a le coin des mangas, celui des DVD, celui des magazines ainsi que des places pour lire, des ordinateurs pour effectuer des recherches, etc.
Alors qu’elle était élève au CO de Derborence à Conthey, Estelle Delaloye n’avait pas décidé de son choix professionnel. Comme elle était une grande lectrice et fréquentait assidûment la bibliothèque de son village, c’est en discutant avec la bibliothécaire qu’elle a alors supposé que ce métier pourrait lui correspondre. Après avoir été élève dans l’école où elle travaille, elle a suivi la formation de bibliothécaire, qui se déroulait à Genève et dans les autres cantons romands, et travaillé à la Bibliothèque cantonale du Valais, devenue Médiathèque Valais. La création de la bibliothèque dans laquelle elle se sent comme un poisson dans l’eau a été le sujet de son travail de fin d’études. Lorsque le directeur de l’Ecole supérieure de commerce devenue ECCG-EPP a su qu’elle voulait devenir bibliothécaire, il lui a suggéré d’imaginer un concept pour son école. Elle a été engagée comme première bibliothécaire et a ainsi pu mettre en œuvre son projet, avec tout de même une frustration, à savoir qu’elle aurait souhaité avoir un local au rez-de-chaussée, situé sur un lieu de passage.
Une bibliothécaire souriante à l’accueil
INTERVIEW
La bibliothèque a-t-elle beaucoup évolué depuis sa création?
Oui, ne serait-ce qu’au niveau informatique. Au début, j’avais imaginé un pourcentage de documents pour chaque secteur. Au fur et à mesure, plus les professeurs ont utilisé la bibliothèque pour leurs cours, plus mes choix et les achats se sont adaptés à eux. Le rayon des livres d’art a par exemple pris de l’ampleur, du fait que je suis sur le même étage que les salles de dessin et la classe de créativité.
Comment définiriez-vous la médiathèque de l’ECCG-EPP?
Certains élèves s’attendent à découvrir une bibliothèque sombre, poussiéreuse et silencieuse, alors qu’ici c’est tout l’inverse. C’est un lieu vivant et animé, mêlant échange, communication et entraide, à la fois espace dans l’école et endroit à part. On y vient seul ou à plusieurs, pas seulement pour lire, étudier et réviser, mais aussi pour se reposer, discuter ou se rencontrer. J’adore ces instants où ça matche entre des élèves de sections ou de degrés différents, alors qu’au départ l’un empruntait juste un stylo à l’autre.
Appréciez-vous toutes les tâches associées à votre métier?
J’aime tout, même doubler les livres et coller les étiquettes, car ça me détend. Peut-être que la seule chose qui me désole, c’est lorsque tous les élèves de l’établissement participent à un événement et que je me retrouve seule dans la bibliothèque pendant plusieurs heures.
La littérature proposée est-elle exclusivement scolaire?
Non, je tiens à ce que la littérature de loisirs représente environ le 20% de la collection, entre les BD, les mangas et les romans contemporains. Certains titulaires ou profs de français apprécient que leurs élèves aient toujours à portée de main une «lecture plaisir» pour s’occuper entre deux activités.
Dans cet établissement, il y a l’école préprofessionnelle, l’école de culture générale et l’école de commerce. Les publics sont-ils les mêmes?
Absolument pas, et je travaille de manière complètement différente avec les uns et les autres. Les élèves en EPP sont les plus jeunes et apprennent beaucoup par projets. Ceux qui sont en ECG se destinent à des études relativement longues, en allant ensuite en HES ou en HEP, et sont donc les plus studieux. Les options choisies, social, santé ou pédagogie, exercent une influence sur leurs choix de lectures. Quant aux élèves en école de commerce, ils ont encore d’autres intérêts. Comme les élèves en ECG et en EC ont un travail personnel à rédiger au cours de leur formation, j’ai davantage de liens avec eux et en plus les EPP ne sont là qu’une année.
Rencontrez-vous toutes les classes?
A la fin septembre, j’ai en principe vu toutes les classes de 1re année, ce qui me permet de leur faire une présentation de la bibliothèque, de l’outil RERO ILS pour effectuer des recherches dans le catalogue cantonal et de leur expliquer le fonctionnement du BibliOpass qui leur permet d’aller dans les autres bibliothèques. Ensuite, je revois les classes selon les sections en 2e année. Ma mission, c’est le développement des compétences informationnelles des élèves.
Pour Estelle Delaloye (à droite sur la photo), la médiathèque doit être un espace pour lire et discuter.
C’est-à-dire?
J’apprends aux jeunes comment chercher de l’information dans les livres et sur internet, où la trouver et comment évaluer les résultats obtenus, en les guidant un peu afin qu’ils développent leur esprit critique. Il s’agit de leur faire comprendre que ce n’est pas parce que c’est sur TikTok que c’est vrai et j’essaie de les sensibiliser aux infox, aux sites conspirationnistes, au plagiat, à la citation des sources et aux droits d’auteur, aussi pour les images. Je leur montre également les ressources électroniques, les bases de données digitales, etc. Je tente de les initier aux normes précises de rédaction des bibliographies. Dans les travaux qu’ils doivent rendre, les élèves sont toujours amenés à sélectionner des références de livres et de sites et je les aide à remonter le fil de leurs sujets. Au départ, ils aimeraient trouver le livre qui correspond à ce qu’ils doivent aborder, avec exactement le même titre. Très vite, ils découvrent qu’avec un premier livre, ils ont une piste pour en dénicher d’autres.
«Certains élèves s’attendent à découvrir une bibliothèque sombre, poussiéreuse et silencieuse, alors qu’ici c’est tout l’inverse.»
Estelle Delaloye
La médiathèque est-elle ouverte à des moments précis aux classes?
Lorsque c’est ouvert, ça l’est pour tout le monde, donc je peux avoir simultanément une classe qui effectue des travaux de groupes, des élèves qui étudient librement, quelqu’un qui lit un manga et des usagers qui passent juste pour emprunter ou rendre des documents. Certains profs emmènent régulièrement leurs élèves travailler en bibliothèque, car ils ont à la fois l’accès aux livres et aux ordinateurs. En général, les élèves aiment venir à la bibliothèque, car c’est une autre ambiance que le cadre scolaire.
Quel est pour vous l’atout premier d’une médiathèque dans l’école?
Comme la médiathèque est sur place, les enseignants viennent plus facilement. Avec des cours de 45 minutes, c’est un réel plus. S’ils devaient se déplacer, il y aurait moins de collaboration. De plus, avec une sélection ciblée pour correspondre aux élèves, ces derniers ne sont pas perdus parmi des références trop pointues.
Vous sentez-vous intégrée dans l’école?
Totalement. Je me sens bien en salle des profs et j’aime le contact avec les élèves. Comme je ne suis pas enseignante, ces derniers osent davantage se confier à moi et me solliciter pour un conseil. Je vois aussi fréquemment la secrétaire qui vient emprunter des livres, le concierge, l’équipe de nettoyage, etc.
«La bibliothèque, c’est le cœur d’une école.»
Estelle Delaloye
Avez-vous des liens avec les autres bibliothèques ou médiathèques scolaires de Sion?
Oui, ne serait-ce que pour avoir certaines collections complémentaires avec celles du CO et du Collège. Avec les bibliothèques-médiathèques des deux CO, nous sommes de plus dans le même quartier.
Est-ce que des jeunes viennent parfois en stages dans votre bibliothèque?
Il arrive que des élèves demandent à pouvoir effectuer un stage sur une journée ou trois jours et quelques-uns ont ensuite choisi de se former à ce métier. Certains élèves en EPP sont par exemple venus parce qu’ils voulaient découvrir la profession de bibliothécaire et là je leur montre aussi le catalogage, l’indexation, les bulletins de livraisons, les factures, etc. Quand j’accueille un élève, on commence par aller acheter un livre en librairie et en fin de journée, après avoir effectué toutes les opérations à réaliser afin qu’il soit disponible au prêt, il peut l’emprunter. Montrer ainsi le chemin du livre est le meilleur moyen de faire découvrir le travail de bibliothécaire.
Les jeunes aiment-ils encore lire des livres?
Pas tous, bien évidemment, mais il y a des élèves qui lisent beaucoup et qui empruntent de nouveaux livres toutes les semaines. Certains ont tellement aimé un livre qu’ils cherchent un roman ou un manga ressemblant. D’autres ont vu un livre en librairie et me demandent si je peux l’acheter et je le fais toujours avec plaisir, car ces moments de partage sont ma motivation.
Y a-t-il des genres particulièrement plébiscités?
Pour s’évader, les jeunes adorent les mangas et la littérature fantasy, avec ses mythes et ses rites qui n’existent plus forcément dans la société actuelle. En même temps, ils aiment beaucoup aussi les histoires vraies, qui racontent des vies compliquées et difficiles, ce qui doit faire écho à leurs existences pas toujours faciles.
Et vous, votre rapport à la lecture a-t-il évolué au fil des ans?
Je lis toujours autant, mais un peu différemment. Enfant, je lisais ce qui me plaisait. Au CO, j’ai eu la chance d’avoir un enseignant qui proposait des listes des lectures indispensables et je dévorais les livres les uns après les autres, alors qu’il était attendu que chaque élève en lise seulement quelques-uns. Pendant ma formation, j’ai dû lire dans tous les genres. Depuis que je suis bibliothécaire, je dois pouvoir conseiller les élèves et étoffer les collections pour coller à ce qu’ils aiment. Je déteste par exemple les mangas, mais j’en lis beaucoup. Parfois, les élèves me font découvrir des livres passionnants que je n’aurais jamais lus sans eux.
Dans un monde idéal, que changeriez-vous dans votre médiathèque?
Je la déplacerais au rez-de-chaussée, mais là j’ai le secret espoir que ça puisse se faire lors du déménagement prévu dans quelques années. La bibliothèque, c’est le cœur d’une école et ce serait tellement plus logique ainsi. A une époque, avec un enseignant, nous organisions des lectures à haute voix à 13 heures, et j’aimerais beaucoup prendre à nouveau le temps de le faire, mais j’ai plus de tâches à gérer. Les élèves sont friands d’histoires qu’on leur lit, même au secondaire II.
Comment imaginez-vous la médiathèque scolaire de demain?
Je pense que les livres papier seront toujours là, mais que la partie digitale va gagner du terrain, ce qui aidera certainement les élèves «dys». Je crois aussi à l’importance croissante de la dimension des espaces de rencontres et d’échanges, dont les élèves et les enseignants ont besoin.
Propos recueillis par Nadia Revaz