Skip to main content

Vulnérabilités et accompagnement: regard de Christophe Marsollier

Auteur de L’attention aux vulnérabilités des élèves, ouvrage dans lequel il est question de solutions pour les accompagner et transformer les fragilités en forces, Christophe Marsollier a accepté une interview à distance. Docteur en sciences de l’éducation, haut fonctionnaire et membre du laboratoire Bonheurs à l’Université de Cergy-Pontoise, il a écrit plusieurs livres sur la relation pédagogique et les espaces de parole.

INTERVIEW 

Qu’est-ce qui vous a incité à écrire ce livre sur l’attention à porter aux vulnérabilités des élèves?

Depuis quelques années, je fais le constat que les problématiques dans les écoles touchent en priorité les élèves dont les besoins fondamentaux sont mis à mal. Ce sont des enfants ou des adolescents qui peuvent avoir en commun l’échec scolaire, le décrochage, le harcèlement, les addictions, autant de situations qui mobilisent beaucoup les équipes. Cette notion de vulnérabilité émerge chez les sociologues dès les années 80 et pour exemple Marc-Henry Soulet s’est largement intéressé à cette question. Cet objet de réflexion s’est aussi développé autour du handicap. Or, les élèves dont je parle dans mon livre ont un autre profil. Ce sont des enfants et des adolescents qui ont appris à masquer leurs vulnérabilités, ce qui les rend difficilement repérables.

 

Diriez-vous que les vulnérabilités ont tendance à augmenter?

Tout à fait, d’autant que nous entrons dans une période de vulnérabilisation générale de la société. Jamais l’humanité ne s’est autant sentie exposée à des risques de toute nature, qu’ils soient climatiques, économiques, sanitaires ou psychosociaux. Les élèves sont stressés d’aller à l’école, se sentant toujours évalués, ce qui les met face à des difficultés supplémentaires par rapport à celles déjà rencontrées en contexte familial.

 

Quels sont les principaux signes qui devraient attirer l’attention?

Il y en a beaucoup, comme le découragement, le manque d’investissement dans les apprentissages, le fait d’avoir souvent des propos négatifs sur l’avenir, les oublis répétés de matériel, l’arythmie scolaire, le repli sur soi, etc.

 

Divers dispositifs d’accompagnement, avec l’engagement de personnes ressources, se mettent en place actuellement, toutefois l’école ne risque-t-elle pas de se perdre au milieu de couches superposées, même si l’intention première est louable?

Le climat scolaire et le bien-être sont des sujets comportementaux complexes qui nécessitent la maîtrise des nuances. Il n’est pas simple de concevoir un dispositif général qui soit cohérent, avec au cœur de celui-ci l’attention aux vulnérabilités et leur accompagnement. Il est prioritaire de développer une formation initiale des enseignants qui soit enrichie à propos de la psychologie de la motivation et celle de la vulnérabilité. Virginie Muniglia a observé que ce dont les jeunes ont le plus besoin pour s’en sortir, c’est qu’on les accompagne en s’intéressant à eux et en les prenant en compte dans leur singularité. L’accompagnement doit avoir quelque chose de l’ordre de la rencontre interpersonnelle. Pour ce faire, il faut avoir effectué un minimum de travail sur soi, car on ne peut pas accompagner quelqu’un sans avoir soi-même mis à distance certaines problématiques personnelles.

 

Dans une école orientée vers la performance, n’assiste-t-on pas à un tiraillement avec les démarches d’accompagnement de la vulnérabilité?

Ce constat met en lumière la fragilité d’un paradigme qui se fondait uniquement sur la performance et l’excellence, alors que celui-ci n’est plus tenable sans un accompagnement psychologique de nombreux élèves. Dans un climat favorable aux apprentissages, lorsque les jeunes trouvent leur voie et que l’orientation n’est pas subie, ils sont prêts à s’engager et à viser l’excellence. 

christophe marsollier

«Le repérage précoce augmente l’efficacité des dispositifs d’accompagnement.»
Christophe Marsollier

 

Comment articuler le collectif avec le suivi individuel?

Ce que l’on a aussi compris ces dernières années, c’est que l’on est meilleur si l’on réfléchit et travaille ensemble, mais que l’accompagnement doit être individuel. Cela suppose un aller-retour entre le travail collectif du repérage et le suivi personnalisé, avec des moments de bilans en commun. En France, nous avons désormais des groupes de prévention du décrochage, avec des équipes pluridisciplinaires qui se réunissent pour repérer les élèves potentiellement concernés et les inciter à la persévérance, en travaillant sur le sens des apprentissages, sur le partage de valeurs, etc. Les enseignants doivent s’ouvrir à ces champs transversaux, complémentaires à ceux qui sont disciplinaires. A mon avis, l’idéal serait d’élargir la veille en étant attentif à un spectre plus large des signaux de fragilités des élèves, étant donné que le repérage précoce augmente l’efficacité des dispositifs d’accompagnement.

 

L’école devrait-elle se transformer en profondeur pour devenir plus agréable à vivre, même si là encore de nombreuses actions visant ce changement essaiment ici ou là?

L’entrée par le climat scolaire est structurante, car cette notion renvoie à la satisfaction des besoins fondamentaux de sécurité, d’écoute, de considération, de justice, de soutien, etc. Cela implique de se repositionner autour des concepts de bien-être, de bienveillance et de vulnérabilité et de regarder les pratiques au travers de ces prismes. Sans tout remettre en cause, l’école gagnerait à revoir certaines priorités. 

 

Comment gérer les résistances, sachant que certains enseignants considèrent que leur métier doit se limiter à la transmission des savoirs et qu’il faudrait plutôt restaurer l’autorité?

Il s’agit d’expliquer plus clairement ce qui est visé avec la bienveillance, définie comme disposition favorable envers autrui, et le bien-être, en tant que satisfaction harmonieuse des besoins physiologiques et psychologiques. La bienveillance est souvent mal comprise, car associée de manière simpliste à la complaisance ou à la mansuétude. Or la bienveillance facilite les exigences et leur acceptation. A court terme, être bienveillant consiste parfois à faire le choix de la fermeté et même de la punition, tout en expliquant sereinement à l’élève pourquoi il est sanctionné dans son intérêt.

 

Qu’est-ce qui vous donne confiance en l’avenir des solutions d’accompagnement?

En France, le travail mené ces dernières années dans la lutte contre le harcèlement, avec le programme pHARe et via la méthode de la préoccupation partagée, tend à démontrer son efficacité, même si la problématique est loin d’être endiguée. Reste que j’ai l’impression que l’on pourrait faire nettement mieux avec des actions plus globales, le harcèlement étant proche d’autres problématiques.

 

Quelles sont ces actions globales à privilégier?

Pour améliorer le bien-être à l’école, je vois deux grands leviers à activer, à savoir la construction d’une relation pédagogique harmonieuse et le développement des espaces de parole. Le point de départ, c’est la qualité de la relation que l’enseignant construit avec ses élèves. Il est par ailleurs important que les adultes ne traitent pas les problématiques des élèves sans eux. Le développement d’espaces de parole doit s’accompagner d’un minimum de formation à l’écoute active et à la communication non violente. Il convient de développer les compétences psychosociales à l’école, en apprenant à communiquer et en étant attentif aux émotions de l’autre. Les méta-analyses anglo-saxonnes démontrent les bienfaits de ces techniques, pour autant qu’un certain nombre de règles éthiques soient respectées. Dans les écoles qui cheminent dans cette direction, on observe sur la durée de nettes améliorations dans l’accompagnement des vulnérabilités.

 

Propos recueillis par Nadia Revaz

 


L attention vulnerabilites eleves

 

 

Le dossier en citations
Accompagnement et réassurance

«L’accompagnement participe d’une stratégie de réassurance. Ce processus suppose de faire communauté et d’inclure, de sécuriser l’élève affectivement, physiquement et cognitivement. Il s’agit de créer les conditions de la confiance en garantissant à chaque élève qu’il ne sera jamais exclu, rejeté, ni abandonné, et que si des injustices sont commises le concernant, il peut s’exprimer, être entendu afin qu’elles soient réparées.»
Christophe Marsollier in L’attention aux vulnérabilités des élèves (Berger-Levrault, 2022)

 


     pdf Lien vers le pdf de l'article