Julia Delalay, enseignante à l’EPCA, et les sens en ébullition
Boulangère, pâtissière et confiseuse de formation, Julia Delalay enseigne dans la filière des boulangers-pâtissiers-confiseurs (CFC de boulanger-pâtissier ou CFC de pâtissier-confiseur) de la nouvelle formation testée sur le modèle des classes duales-mixtes (école des métiers). Passionnée par le pain et le chocolat, elle évoque avec gourmandise le rôle des cinq sens et du sixième aussi dans son univers professionnel valorisant l’artisanat.
Julia Delalay est boulangère, pâtissière et confiseuse.
Haute comme trois pommes, Julia Delalay rêvait déjà de devenir boulangère et jamais elle n’a douté de son choix. Avant d’entrer en apprentissage, elle avait toutefois effectué un stage dans une boulangerie à Monthey. Son histoire gourmande avec le pain a commencé par l’odorat. Elle se souvient parfaitement de cette odeur qu’elle appréciait tant lorsqu’avec ses parents elle s’arrêtait en soirée dans la boulangerie où son papa allait parfois donner des coups de main et aujourd’hui encore elle aime sentir le pain chaud. «Quand mes apprentis sortent leur premier pain du four, je leur dis qu’il n’y a pas d’odeur plus extraordinaire que celle-là», s’enthousiasme-t-elle. Après son CFC de boulangère-pâtissière, elle a poursuivi par une formation complémentaire en confiserie, décrochant un brevet fédéral. Elle a travaillé chez Zenhaüsern et chez Philippe Guignard à Orbe où elle a vécu une expérience professionnelle incroyable en ayant la possibilité de laisser libre cours à sa créativité, avant de mettre un pied à l’EPCA pour des remplacements. Ensuite, pendant plusieurs années, elle a enseigné dans cette école professionnelle et dans celle de Montreux. Ses parents, qui étaient enseignants, lui ont probablement transmis la fibre du plaisir du partage des connaissances. Depuis l’ouverture de la filière duale-mixte de boulangers-pâtissiers-confiseurs en 2022-2023, elle travaille uniquement à Sion. En parallèle à son activité à 80% à l’EPCA, elle est à la tête de l’atelier Au cœur du chocolat situé dans la maison de ses parents. Si elle ne dispose pas de magasin, ses saveurs artisanales sont à découvrir au marché de Sion ou dans des magasins du terroir. Cette aventure entrepreneuriale est familiale, étant donné que Julia Delalay bénéficie de l’aide de son mari, également enseignant à l’EPCA, ainsi que de celle de ses parents.
INTERVIEW
Sachant que comme pour les intelligences multiples les cinq sens ne sont pas développés chez chacun à égalité, lesquels sont prioritaires pour la boulangerie-pâtisserie-confiserie?
Pour moi, l’odorat, la vue et le goût sont essentiels dans ces métiers. Je ne pense pas qu’il y en a un qui doit prendre le dessus sur les autres, car c’est avant tout une question d’équilibre. Si le visuel d’une pâtisserie n’est pas à la hauteur de l’odeur ou du goût, c’est décevant, tout comme si le meilleur gâteau du monde est mal présenté. Nous sommes influencés par nos sens et parfois trompés. L’année passée, j’avais fait déguster à mes apprentis de 1re année des sirops avec des saveurs particulières en modifiant le visuel avec des colorants et les apprentis avaient trouvé cela très perturbant, sauf un qui avait découvert avec une facilité déconcertante les bonnes réponses.
L’approche sensorielle fait-elle partie du cursus de formation, comme c’est le cas pour la fabrication de parfums ou la dégustation de vins?
Etonnamment, non. Il n’y a pas une partie du plan de formation spécifiquement reliée à une approche par les sens. Cependant, cela se travaille au quotidien, peut-être encore plus depuis que les jeunes sont, hormis les quelques semaines de stage en entreprise, à plein temps à l’école lors de leur première année de formation. C’est un travail de sensibilisation permanent que l’on retrouve à toutes les étapes du processus, l’esthétique du millefeuille allant jusqu’au choix du petit papier sur lequel il sera posé.
«Un pain, c’est un visuel combiné à une saveur et une odeur.»
Julia Delalay
J’imagine que les apprentis gagnent au fil des mois en sensibilité…
Leur sensibilité s’affine en effet au fil des expériences et des dégustations, ce qui les aide à apprendre le métier. Au début, ils n’ont pas forcément la capacité de percevoir les nuances de goût. Progressivement, ils se rendent compte qu’un pain, c’est un visuel combiné à une saveur et une odeur.
L’ouïe et le toucher ont-ils également un rôle à jouer?
Le pain est une matière vivante, qui se travaille aussi au toucher et à l’ouïe. Au début du processus, le toucher a beaucoup d’importance. Quand on apprend à façonner, le geste n’est pas facile à maîtriser, d’autant plus que c’est compliqué de montrer comment faire une boule ferme qui emprisonne de l’air. Les jeunes doivent par ailleurs comprendre pourquoi on ne peut pas travailler la pâte trop longtemps avec des mains chaudes. Nous avons des capteurs sensoriels qui dans notre métier servent à nous indiquer si on fait juste ou pas. Les gros pains mi-blancs doivent par exemple faire un bruit craquant à la sortie du four. Certains boulangers retournent le pain chaud et tapent le dessous pour évaluer son état de cuisson au son. Le bruit du couteau aiguisé planté dans le pain croustillant a un effet magique et c’est un indice fort de sa qualité pour un boulanger aguerri. Bref, le pain est constamment en lien avec les cinq sens. De la même manière, pour qu’un chocolat soit brillant et cassant, il y a une courbe de température à respecter.
Les cinq sens étant souvent associés à la mémoire, dopez-vous votre créativité avec des souvenirs olfactifs, visuels et/ou gustatifs?
Je travaille plutôt au niveau de l’association de saveurs pour qu’il se passe quelque chose à la dégustation du produit. Il m’arrive toutefois de retrouver des goûts associés à ma mémoire, mais c’est quand même assez rare, d’autant plus que souvent ce n’est pas aussi bon que dans nos souvenirs.
«Le pain est une matière vivante, qui se travaille aussi au toucher et à l’ouïe.»
Julia Delalay
Votre métier allie précision et créativité. L’intuition entre-t-elle en jeu?
Pour réussir une pâtisserie ou un caramel, il faut peser au gramme près et respecter les températures, mais c’est aussi une question d’expérience. Un confiseur qui a l’habitude fera du chocolat à la texture et à l’odeur. En boulangerie, il s’agit aussi de suivre la recette, en revanche la pâte variera en fonction de la température ambiante et de l’humidité, donc c’est là qu’il faut avoir de l’intuition pour savoir combien de temps elle aura besoin pour lever dans un laboratoire au sous-sol ou dans une cuisine en plein été. Les indices pour se repérer seront liés aux sens, la capacité à interpréter le processus chimique et physique se doublant d’une petite part d’intuition. En cuisine, métier pourtant proche de la boulangerie-pâtisserie-confiserie, la proportion d’intuition sera beaucoup plus grande. C’est du reste amusant de voir des apprentis ayant obtenu leur CFC de cuisinier devoir s’adapter à une autre approche en boulangerie, pâtisserie ou confiserie.
Si le vocabulaire associé aux cinq sens ne fait pas l’objet d’un travail spécifique en cours, s’y réfère-t-il fréquemment?
Très clairement oui. Presque chaque terme du lexique professionnel auquel nous nous référons pourrait être relié à l’un des cinq sens, voire à plusieurs d’entre eux.
Certains jeunes ont-ils les cinq sens en éveil dès leur entrée en apprentissage?
Cela fait dix ans que j’enseigne et j’ai l’impression que dans chaque classe trois ou quatre élèves sortent du lot. En étant à plein temps avec eux, c’est encore plus frappant de voir combien certains sont doués et très sensibles aux informations sensorielles. Les autres sont là pour apprendre les bases et ont des capacités d’apprentissage qui ne demandent qu’à être développées à des rythmes variables.
Julia Delalay a un compte Instagram et Facebook permettantde découvrir
l’activité de son atelier Au cœur du chocolat.
Peut-on selon vous faire un parallèle entre les cinq sens et le sens des apprentissages à l’école obligatoire?
Oui, je pense que les cinq sens pourraient aider certains élèves à trouver du sens à ce qu’ils apprennent et que cela leur permettrait peut-être d’entrer en contact avec notamment nos métiers où tout en travaillant on peut admirer visuellement le résultat, profiter des bonnes odeurs et savourer gustativement ce que l’on a créé. Le sens de notre travail est évident et en plus on a le privilège de pouvoir faire plaisir aux gens.
Propos recueillis par Nadia Revaz
Les cinq sens dans le parcours d’élève de Julia Delalay
Lors de votre scolarité obligatoire à Monthey, avez-vous des souvenirs rattachés au développement sensoriel?
Non, je n’ai pas l’impression que les cinq sens étaient valorisés à l’école, et j’ai même le sentiment que les métiers manuels étaient la plupart du temps perçus négativement, alors que les débouchés sont nombreux pour les plus passionnés. Les choses ont fort heureusement changé et je trouve que des initiatives comme le concours Top chef au CO ou des visites de l’Alimentarium à Vevey, en participant ou non à des ateliers, sont de formidables opportunités pour sensibiliser les jeunes à une exploration leur permettant de reconnaître ne serait-ce que le sucré, le salé, l’amer et l’acide, ainsi que les arômes et les senteurs. Ce sont des ouvertures qui de plus peuvent guider les jeunes sur le chemin de l’orientation professionnelle.
Lors de votre apprentissage, vous rappelez-vous la manière dont vous avez enrichi votre palette sensorielle?
Pas précisément, mais je garde de très bons souvenirs des cours à l’école tout particulièrement. Ce qui était formidable dans ma classe, c’est qu’on échangeait beaucoup entre nous. Même sans avoir forcément des affinités en dehors des cours, nous avions un véritable point commun, car on apprenait le même métier et on pouvait partager nos doutes à propos de la saveur, de la senteur ou de la texture d’une crème vanille.