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Michael Mathier ou le bilinguisme dans l'enseignement et l'écriture

Michael Mathier, enseignant en classe bilingue auprès d’élèves de 7H et de 8H à Sierre, est l’auteur d’un livre mêlant français et allemand pour les francophones (Der Schatz de la Raspille) et de sa traduction mixant allemand et français pour les germanophones (Le trésor von der Raspille). La variation est dans le dosage des mots de la deuxième langue. A travers le récit, les jeunes lecteurs entre 9 et 12 ans sont invités à s’immerger de manière ludique dans la quête d’un trésor perdu aux alentours de la Raspille, rivière marquant la frontière entre le Haut-Valais et le Valais romand.

 


Michael Mathier est l’auteur de Der Schatz de la Raspille (Le trésor von der Raspille)

 

La région de la Raspille est gravée dans le cœur de Michael Mathier, puisqu’il y a grandi et y enseigne. Il a aussi quelques périodes de médiation scolaire à Sierre et à Salgesch, les deux communes étant rattachées à la direction des écoles de la Cité du Soleil. Baigné dans les deux langues au quotidien depuis l’enfance, l’enseignant a écrit l’histoire d’abord pour les francophones, en pensant à ses élèves en classe bilingue, puis tout naturellement il a souhaité s’adresser également aux germanophones, notamment dans l’optique des échanges linguistiques. Avoir l’opportunité de parler d’un même livre, cela réunit assurément. Il a donc fait l’exercice de traduire son propre texte intitulé Der Schatz de la Raspille, qui est devenu Le trésor von der Raspille. Au départ, pourtant bilingue, il n’imaginait pas tout le travail autour de l’adaptation des tournures de phrases, la traduction littérale étant tout simplement incompréhensible. Avec ces deux livres, de part et d’autre de cette rivière dont la symbolique est forte, les élèves peuvent se référer à un récit commun, narrant les aventures de Dinko qui a 12 ans et dont la famille passe inconsciemment d’une langue à l’autre selon les situations, les émotions ou l’envie, mélangeant parfois allemand et français dans une même phrase. Originalité supplémentaire, les phrases intègrent ici et là des émoticônes et des pictogrammes, dans le but de faciliter la lecture des passages dans la deuxième langue. L’objectif de Michael Mathier est de permettre aux élèves d’apprendre l’autre langue, tout en gardant le plaisir de la lecture, donc sans avoir à effectuer l’exercice supplémentaire de la traduction. Il est probable que ce livre intéresse des enfants même au-delà des frontières cantonales, que ce soit à l’école ou en famille…



INTERVIEW

 

Votre parcours d’élève s’est-il déroulé de part et d’autre de la Raspille?

Oui. J’ai suivi mes classes primaires à Sierre dans les classes allemandes, en étant déjà plongé dans le bilinguisme puisque dans la cour de récréation à Borzuat le français était omniprésent. J’ai effectué mon CO à Grône dans la filière sport-études, ce qui m’a permis de concilier football et apprentissages scolaires. Pendant cette période, avec l’aide de ma maman, j’ai dû fournir des efforts pour la maîtrise du français, en rattrapant notamment certaines lacunes en grammaire. J’ai décidé ensuite d’aller à Brig au Collège, mais ce n’était pas la bonne orientation, aussi je suis retourné au CO, mais à Sierre en filière allemande à Goubing. A la fin de ma scolarité obligatoire, j’ai effectué un apprentissage d’employé de commerce à la direction des écoles de Sierre, tout en suivant les cours en allemand à Brig. J’ai ensuite fait une année de cours pour obtenir une maturité professionnelle et je suis revenu travailler à la direction des écoles de Sierre, mon bilinguisme ayant été perçu comme un atout.


A quel moment avez-vous décidé de devenir enseignant?

J’avais déjà envisagé la voie de l’enseignement, mais le désir d’être indépendant assez vite m’avait incité à renoncer à ce choix. Je pense que le fait d’être en lien avec les enseignants dans mon job et celui d’avoir donné quelques cours d’allemand et de maths à une personne de ma famille ont réveillé ce désir. A la direction des écoles, on m’a encouragé à réaliser ce rêve. Pour l’atteindre, j’ai suivi une année de formation dans une ambiance très agréable à l’école privée des Buissonnets à Sion, puis j’ai passé mes examens de baccalauréat littéraire en France, décrochant la mention nécessaire pour pouvoir entrer à la HEP-VS. Là, j’ai opté pour la filière bilingue, équitablement partagée entre les sites de Saint-Maurice et de Brig. Je me souviens qu’à mon arrivée à la HEP-VS, on m’a demandé quelle était ma langue première et j’ai eu du mal à répondre à cette question. Comme j’ai finalement dit que je réfléchissais plutôt en français, j’ai terminé mon travail de bachelor à Brig.


Une fois enseignant, avez-vous tout de suite travaillé à Sierre?

Oui, car la direction des écoles était à la recherche un peu désespérée de quelqu’un pour les classes bilingues. Toutefois, comme je souhaitais faire une transition et en profiter pour voyager, j’ai eu la chance de pouvoir bénéficier d’un arrangement de façon à pouvoir partir à la découverte de l’Amérique du Sud pendant un semestre.


«L’objet livre est mieux adapté pour insuffler le plaisir de lire.»
Michael Mathier



Le métier d’enseignant en classe bilingue est-il aussi enthousiasmant que vous l’imaginiez?

Totalement. Ma collègue donne toute la partie en français et moi celle en allemand, et j’apprécie beaucoup la dynamique de collaboration qui anime notre duo pédagogique. Enseignant aussi l’anglais, je mesure combien les élèves n’ont pas la même envie spontanée d’apprendre l’allemand, toutefois c’est mon défi de leur faire aimer cette langue.


Après quelques années d’enseignement en classe bilingue, comment est né ce projet de livre?

A Sierre, les élèves en classe bilingue sont, à de rares exceptions près, francophones, aussi j’ai eu l’idée de proposer un outil supplémentaire pour entrer dans la deuxième langue. En voulant les faire lire en allemand, j’ai pu observer leurs difficultés trop grandes pour suivre le fil de l’histoire. J’ai aussi testé la collection «Tip Tongue» et même si les livres publiés sont intéressants, l’approche était à mon sens trop scolaire pour insuffler le plaisir de lire comme je le souhaitais. Ayant un peu plus de temps lors de la fermeture des écoles pendant la période du Covid, j’ai alors commencé à écrire un livre comme souvent on parle en étant bilingue, c’est-à-dire en passant constamment d’une langue à l’autre. Pour aider les élèves, j’ai opté pour l’ajout d’émoticônes et de pictogrammes, tout en jouant avec la répétition de certains mots afin de viser un apprentissage progressif. Je peux imaginer que cette manière d’aborder la langue allemande peut surprendre au départ, néanmoins je pense qu’on s’y habitue vite.


Avez-vous réalisé ce projet en solo?

Pour ce qui est de l’histoire oui, mais au niveau des relectures et des corrections c’est une collaboration familiale. Par ailleurs, ma cousine, ayant l’âge du public cible, a fait une lecture critique, me donnant des pistes d’amélioration à hauteur d’enfant, ce qui était essentiel à mes yeux. Les aquarelles qui illustrent le livre ont été réalisées par mon beau-père Dominique Grelot, qui est un artiste professionnel. J’aime beaucoup sa façon symbolique d’avoir représenté la Raspille sur la page de couverture.



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«Pour aider les élèves, j’ai opté pour l’ajout d’émoticônes et de pictogrammes.»
Michael Mathier



Pourquoi avez-vous choisi de proposer un livre papier et non pas seulement une version numérique?

La lecture sur écran est régulièrement controversée, aussi il me semble important que l’école privilégie les livres papier. De plus, j’ai l’impression que l’objet livre est mieux adapté pour insuffler le plaisir de lire.


Estimez-vous que les élèves connaissent bien la culture de l’autre partie linguistique du canton?

On pourrait encore faire mieux, cependant je considère qu’avec les classes bilingues et les échanges linguistiques nos liens se sont renforcés, même si certainement insuffisamment au niveau culturel. Je suis frappé de voir combien le Valais romand est influencé par les médias de France et le Haut-Valais par ceux d’Allemagne, ce qui impacte sur la construction complexe de nos identités régionales, tant culturelles que sportives.


Votre bilinguisme apporte-t-il une touche différente à votre enseignement, au-delà de la dimension linguistique?

Ayant constamment fait des allers-retours entre le Valais romand et le Haut-Valais, j’ai été confronté à différentes manières d’enseigner, ce qui doit se percevoir un peu dans ma pratique du métier. Pour exemple, contrairement à une idée reçue, l’approche de l’école est moins scolaire et l’évaluation moins carrée dans le Haut-Valais que dans le Valais romand. J’espère apporter une part de ma double culture, toutefois il faudrait assurément en faire davantage. Cette année, j’ai fait travailler mes élèves sur la thématique de la vigne en les emmenant vivre l’esprit de ma famille mélangeant les deux cultures et ils ont beaucoup apprécié. Pour être cohérent avec l’étiquette de classe bilingue, il faudrait les embarquer plus souvent au cœur de la culture du Haut-Valais.


Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous dans vos classes bilingues?

A mon sens, nos élèves sont trop rarement en situation réelle d’immersion dans l’autre langue. J’aimerais leur offrir plus de situations concrètes pour qu’ils se débrouillent et communiquent avec davantage de naturel. Ce matin, j’ai fait écouter à mes élèves la météo en suisse-allemand, afin qu’ils se familiarisent avec ces mots parallèles au vocabulaire appris en classe et en général ils aiment bien ce genre d’activités qui les aident à comprendre les différences entre l’allemand écrit et le dialecte à l’oral. L’idée, c’est de les sensibiliser à ces diversités linguistiques et culturelles, peut-être juste un peu plus souvent.

Propos recueillis par Nadia Revaz


Témoignage de Sandy Lucchina

Enseignant en classe bilingue à Martigny

Sandy Lucchina teste la lecture de Der Schatz de la Raspille avec ses élèves de 7H et prépare un dossier pédagogique pour compléter la démarche. «Ce livre, dont l’intrigue se déroule en Valais et en partie pendant la Deuxième Guerre mondiale, fonctionne très bien en classe bilingue et il répond à un vrai besoin, car les livres sur le marché, même ceux de la collection «Tip Tongue», sont trop difficiles pour nos élèves», explique-t-il, vantant l’idée de son collègue d’avoir intégré des émoticônes pour faciliter la compréhension et la mémorisation du vocabulaire. Et d’ajouter: «Pour compléter cette lecture suivie, je prépare des activités bilingues en lien notamment avec l’histoire et la géographie qui à la fin constitueront une sorte de dossier pédagogique susceptible d’intéresser d’autres enseignants des classes bilingues qui pourront ensuite l’adapter et l’enrichir à leur guise.» Parmi les multiples compléments possibles, il est d’avis qu’un glossaire serait aussi bienvenu.

 

Témoignage de Noémie Pinizzotto

Enseignante dans des classes francophones à Sierre

Noémie Pinizzotto a proposé la lecture de ce livre à des classes de 7H et 8H. Tous les établissements de Sierre ont reçu un exemplaire de ce livre en salle des maîtres et en le feuilletant elle a eu envie de le lire puis de partager cette lecture. «L’approche, vraiment intéressante et différente des méthodologies habituelles, ne pouvait qu’attirer l’attention des élèves et c’est le cas», commente-t-elle, constatant que ce mélange des langues correspond à sa manière de s’exprimer en classe. Et de détailler: «L’écriture est simple et bien complétée avec les émojis pour saisir les mots en allemand, l’histoire se déroule dans une région située autour d’eux et l’intrigue est présentée sous forme d’enquête.» Si elle n’a pas prolongé la lecture par des activités, elle a toutefois effectué un contrôle de compréhension du récit en milieu et en fin de lecture. «La grande majorité de mes élèves ont tellement aimé cette lecture qu’ils réclament un tome 2, et moi aussi», conclut-elle.

 


 

 

 


Extrait du livre en français


Pour commander des livres

Der Schatz de la Raspille (version pour les francophones)

Le trésor von der Raspille (version pour les germanophones)


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