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Etienne Arlettaz, animateur de théâtre dans les écoles de Sion

Résonances vous propose de découvrir une spécificité installée au cœur des écoles sédunoises ayant été initiée par Nicole Schroeter et Jean-Bernard Gillioz en 1982. Tous les élèves du cycle 2 de la Ville de Sion bénéficient de cours d’expression théâtrale. Etienne Arlettaz, l’un des animateurs, en parle avec enthousiasme, estimant avant tout donner aux élèves des clés pour communiquer avec les autres et développer des valeurs de confiance et de respect. Avec ses deux collègues, Christine Stutzmann et Florence Ebener Mahdi, ils se répartissent chaque année les divers centres scolaires, afin que les élèves n’aient pas toujours la même approche lors du semestre d’animation théâtrale en 5H, 6H, 7H et 8H.

Après avoir effectué sa scolarité obligatoire à Sion, Etienne Arlettaz a obtenu une maturité socio-économique au Lycée-Collège des Creusets. Il pensait suivre la filière pour devenir enseignant en éducation physique à l’Université de Lausanne, mais un stage en a décidé autrement. Tout en ayant grappillé des cours en autodidacte à une époque où l’univers circassien ne bénéficiait d’aucun espace en Valais, il a participé à un stage dans un cirque de l’Académie Fratellini dans le sud de la France pendant les vacances entre la 4e et la 5e année de matu et là sa polyvalence a été remarquée. On lui a alors conseillé de s’inscrire au concours d’entrée de l’Ecole nationale des arts du cirque. Retenu, il s’y est formé pendant quatre ans, d’abord en région parisienne puis à Châlons-en-Champagne. Le cirque contemporain l’a ouvert à l’univers de l’acrobatie, de la danse et du jeu théâtral. Avec cette riche palette au carrefour des genres, il a participé à des spectacles narratifs en France et aux quatre coins du monde. A 30 ans, l’artiste bourlingueur a fait le choix de revenir en Valais, alors même que le cirque contemporain n’avait pas la place qu’il a aujourd’hui, aussi il a collaboré avec des compagnies de théâtre ou de danse et créé des collectifs pluridisciplinaires. Dans ce contexte instable, sans statut d’intermittent du spectacle comme en France, c’était une chance de trouver un mi-temps dans les écoles. Pour correspondre aux horaires scolaires, il a dû fonder sa propre compagnie, la Cie du Biclown, n’ayant hélas plus la possibilité de participer à certaines grandes productions, ce qui est à ses yeux le seul bémol. Aujourd’hui, il se consacre à la dimension pédagogique de l’animation théâtrale.

Etienne Arlettaz 1


INTERVIEW

Etienne Arlettaz, que cherchez-vous à apporter aux élèves dans le cadre de vos interventions en animation théâtrale?

Dans mon cas, mais ce n’est pas forcément celui de mes collègues puisque nous visons une diversité de nos approches, je m’appuie sur le jeu et la création pour mettre en place avant tout un atelier de communication. Cela permet aux enfants d’apprendre à se connaître et à mieux comprendre le fonctionnement du groupe. Afin que tous les élèves puissent entrer dans le jeu, car ce n’est pas un cours facultatif, il y a un cadre précis et sécurisant à mettre en place. Il s’agit de travailler avec ceux qui sont très à l’aise dans leurs baskets et ayant déjà de solides compétences pour fonctionner avec leurs camarades et d’autres qui sont plus en retrait, tout en évitant les débordements des plus exubérants. Tous n’ont pas des environnements familiaux identiques et les mêmes chances d’avoir des activités extrascolaires. L’atelier doit être pensé pour que chaque élève y trouve des clés d’épanouissement.

Dans notre société agitée, est-il d’autant plus important de saisir ces instants pour apprendre à être en relation avec les autres?

Plus les années passent, plus j’ai l’impression que ce que nous proposons de manière extrêmement basique au niveau de l’animation théâtrale est fondamental, tant les relations humaines deviennent tendues et compliquées aussi bien dans la société qu’à l’école. Les élèves manquent souvent de confiance en eux, de qualité d’attention, du plaisir d’être soi et d’habitudes de collaboration et c’est exactement ce que les cours d’expression théâtrale développent.

Le but premier n’est donc pas de faire un spectacle de fin d’année…

Ce n’est aucunement l’objectif, même si tous les deux ans un centre scolaire de Sion met sur pied une création et tous les élèves des autres écoles seront les spectateurs de cette production faisant la part belle à l’imaginaire. Dans ce cas, il s’agit d’une collaboration qui implique l’animateur de théâtre au cycle 2, l’enseignant de rythmique au cycle 1, celui du chant qui couvre l’ensemble des degrés, ceux qui donnent les cours AC&M pour notamment les costumes et le décor ainsi que toute l’équipe pédagogique, ne serait-ce que pour la coordination de l’ensemble des activités. Les enjeux du travail en expression théâtrale avec les classes sont très différents.

Ce travail avec les classes, comment le qualifieriez-vous?

Mon atelier est avant tout un laboratoire. Je fais vivre aux enfants des expériences pour comprendre crescendo ce qu’est la communication et en retirer des enseignements. Pour ce faire, il faut travailler l’expression du regard, du geste, du mouvement, du mot avant de pouvoir entrer dans un processus de création et d’improvisation. Mon rôle n’est pas vraiment celui d’un coach, mais plus d’un motivateur qui est là pour inciter les élèves à développer des savoir-être.

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«Mon atelier est avant tout un laboratoire.»
Etienne Arlettaz

 

Les enfants sont-ils spontanément à l’aise avec le fait de s’exprimer en jouant?

On pourrait croire que c’est inné, mais c’est faux. Certains enfants sont tellement habitués à être dans leur bulle et en interaction avec des écrans qu’ils peinent ne serait-ce qu’à se passer le regard. Ce que les élèves découvrent dans l’atelier, c’est que dès qu’un choix clair est posé, l’autre va accepter de jouer avec eux.

De tels ateliers contribuent-ils à améliorer l’ambiance de classe?

Tout est lié. Ce qui est utile à l’individu l’est pour le groupe et vice-versa. La première chose que je demande aux élèves, c’est d’entrer dans l’atelier en me disant leur prénom et en allant s’asseoir en cercle, qui renvoie à l’enceinte circulaire du cirque, et ils doivent attendre en silence que tout le monde soit disponible et que l’attention ne soit plus dispersée afin que l’on puisse partir d’une page blanche. Instantanément, on perçoit la dynamique de chacune des classes. Les ateliers d’expression théâtrale visent à rendre les enfants plus détendus au sein d’un collectif, en dépassant les problèmes de jugement, de violence et de harcèlement. Le défi, c’est d’amener chaque élève à avoir conscience qu’il peut puiser dans son coffre aux trésors sa propre baguette magique pour se connecter à lui-même et comprendre que les autres sont en miroir avec lui. S’il regarde l’autre en souriant, ce dernier va s’adapter à la proposition qui lui est faite. Le théâtre, c’est un jeu de comédiens sur scène et une relation avec un public.

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«Les ateliers d’expression théâtrale visent à rendre les enfants plus détendus au sein d’un collectif.»
Etienne Arlettaz

 

Au vu de votre parcours, empruntez-vous au monde du cirque dans vos cours?

Pas directement du cirque, mais du jeu corporel. Au niveau de l’expression, je commence par leur apprendre à mimer les émotions et à faire des arrêts sur images comme s’il s’agissait de photos ou d’affiches de cinéma, puis à aller vers le mouvement. Par exemple, je leur demande de mimer une bagarre au ralenti, ce qui permet de mettre en place le ping-pong de propositions. L’un mime un coup sans force et sans contact et l’autre réagit. Les enfants vont décoder que le théâtre c’est l’inverse d’un combat, puisque les acteurs doivent s’entraider pour jouer une situation corporelle exacerbée par ce ralenti qui va finir par devenir drôle. Pour avoir le bon geste, il faut faire une chose à la fois et rester focus sur les réactions de son partenaire. Ensuite, un autre duo va sonoriser la scène, puis un autre pourra amener du texte. Ce n’est pas n’importe quel jeu, puisque c’est une chorégraphie codifiée et structurée, avec des appuis et des équilibres. Le mouvement vise à être agréable et beau et tout le corps doit être impliqué. A partir d’une consigne très simple, tous les enfants peuvent être en capacité pour engager le jeu.

Dans le cadre de ces ateliers, collaborez-vous avec les enseignants?

Il arrive qu’un enseignant me dise qu’il travaille sur les Fables de La Fontaine ou prépare une journée récréative pour Noël, et dans ce cas j’adapte mon cours. Avant les enseignants n’étaient pas présents à nos ateliers, alors que depuis peu ils le sont. Ainsi l’enseignant peut voir chacun de ses élèves participer à des activités de communication sous un autre angle. Aux étudiants de la HEP-VS qui sont en stage, je leur propose de venir dans le cercle et avec ceux qui acceptent c’est toujours un échange enrichissant. J’aurais maintenant envie d’aller plus loin, en invitant les enseignants qui le souhaitent à se joindre au groupe pour jouer et nouer une autre forme de complicité avec leurs élèves. Cela me permettrait de gérer davantage de passages individuels, ce qui est toujours très riche.

Ne faudrait-il pas imaginer un atelier spécifique pour les enseignants?

C’est exactement le genre de questions que je me pose depuis peu. Ce serait peut-être une piste à explorer pour aider les enseignants qui en éprouveraient le besoin à introduire une dynamique bienveillante et ludique tout en posant des enjeux clairs. Avec mes collègues en animation théâtrale, nous ne sommes pas des enseignants et c’est précisément pour cela que nous pourrions apporter une complémentarité.

Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous dans les écoles valaisannes?

J’introduirais des cours d’expression théâtrale dans toutes les écoles, et pas seulement au primaire, mais aussi au cycle d’orientation, car les rares fois où j’ai eu l’opportunité d’animer des ateliers avec des plus grands j’ai pu voir que ce travail d’expression pouvait être précieux pour surmonter le malaise lié à l’adolescence. Et pourquoi ne tisserait-on pas des liens entre l’expérience d’animation théâtrale des écoles de Sion et la Haute école pédagogique? De mon point de vue, l’outil du spectacle vivant mériterait d’être davantage mis au service du développement de la personne et le faire dans le contexte scolaire me semble extrêmement judicieux.

Avez-vous l’impression que les ateliers d’expression théâtrale de la Ville de Sion sont suffisamment connus à la ronde?

Absolument pas, mais comme bien d’autres initiatives menées dans les écoles. Les ateliers d’expression théâtrale, qui sont implantés à Sion depuis des années, n’ont jamais à ma connaissance été repris ailleurs, probablement en partie parce que certains ne savent même pas que cela existe en Valais.

Propos recueillis par Nadia Revaz


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