Larissa Léger Vaudroz, enseignante AC&M au CO des Liddes
Ce mois, Résonances vous invite à une immersion dans un cours en activités créatrices et manuelles dispensé par Larissa Léger Vaudroz. Lors de l’interview, l’enseignante au CO des Liddes à Sierre défend l’importance des AC&M dans une société et une école où la main, le geste et l’artisanat ont tendance à être négligés au profit de la technologie.
Entrons dans l’atelier du mardi après-midi pour, sans perturber l’avancement des travaux, dialoguer avec la demi-classe de 11CO, pendant que l’autre groupe est en cours d’économie familiale ce semestre. La première impression qui se dégage, c’est le calme malgré le bruit des machines. Chacun travaille à sa place, à son rythme, aussi tous ne sont pas à la même phase du projet, qui de plus est personnel. Avec cette classe, il y a un chien d’assistance qui accompagne une élève atteinte d’épilepsie. Ce dernier est sage et ajoute sa patte à la convivialité ambiante.
Deux élèves se lancent pour décrire les étapes avant et après l’instant T dans l’atelier. Ils racontent qu’ils apprennent à travailler le bois en faisant chacun une étagère en kit et ils montrent leurs esquisses, plans et maquettes pour illustrer leurs propos et décrire les étapes. A cet instant-là, après la conception, ils passent à celle de la réalisation en commençant par tracer les mesures sur les panneaux de bois à disposition pour pouvoir les découper. «On s’est d’abord entraîné un peu», commente l’un. «La difficulté, c’est d’être précis dans le travail», complète l’autre. Et voilà qu’avec l’enseignante ils parlent de «queue-d’aronde», car le vocabulaire complète le savoir-faire technique. Larissa Léger Vaudroz souligne que la contrainte, c’est que tout doit tenir par assemblage. Son challenge à elle, outre de répondre aux questions qui fusent de partout, c’est surtout de mettre à niveau les élèves absents lors du cours précédent, car toutes les notions sont indispensables pour avancer dans le projet. A plusieurs reprises, l’enseignante rappelle aux jeunes qu’il faut tester, expérimenter et que se tromper n’est pas grave. L’un d’eux fait donc un essai de teinture, tout en étant confiant dans le résultat. L’enseignante explique, montre, puis laisse les élèves se débrouiller. Elle est toujours dans le mode encouragement, en disant notamment: «Tu dois faire ça pico bello» ou «hop, hop, hop». L’exercice est parfois aussi musculaire, lorsqu’il s’agit par exemple de scier à la main. Quelques-uns ont choisi de fabriquer de grandes étagères, d’autres de toutes petites, en imaginant déjà les objets pour lesquels elles ont été pensées. Dans le même temps, plusieurs profitent de courtes «pauses» entre deux tâches pour avancer dans la confection d’un rideau aux allures de mobile à partir des capsules de café utilisées par les enseignants, la durabilité étant une autre dimension du cours.
Qui n’aime pas les cours d’AC&M dans le groupe? Apparemment, ce n’était pas la bonne question. Dès lors, posons-la autrement? Qu’est-ce qui est motivant dans cette branche? Voici un conglomérat de leurs réponses: «Ce qui me plaît, c’est de faire une étagère unique», «c’est super cool de rajouter quelque chose que l’on a réalisé soi-même dans sa chambre», «ici, on utilise les maths et le calcul mental sans s’en apercevoir», «c’est facile de se concentrer en AC&M par rapport aux matières où on remplit des fiches, car on visualise le résultat de ce qu’on apprend» ou encore «dans ce cours, on peut rigoler et bouger, tout en sachant que l’on est obligé d’être très concentré en fonction des outils utilisés». Une élève va même jusqu’à une comparaison qui interpelle: «C’est bien mieux de réaliser une étagère originale que de passer des heures sur son écran de téléphone.» Pour ces ados, la dimension interdisciplinaire de ce cours semble évidente. Ils font des liens avec le français pour le vocabulaire, avec les maths pour les mesures, avec les arts visuels pour le dessin, etc. Bien sûr, tous ne sont pas à l’aise avec certains calculs, mais ils ne rechignent pas à fournir des efforts pour comprendre. Il en va de même pour les termes techniques spécifiques que tous n’ont pas assimilés du premier coup, mais comme l’enseignante répète, l’acquisition se fait progressivement, d’autant que là l’enjeu c’est une étagère et pas seulement une note.
«C’est bien mieux de réaliser une étagère originale que de passer des heures sur son écran de téléphone.»
Une élève
L’après-midi touche à sa fin, il est presque 17h et les élèves doivent s’atteler au rangement. Avant cela, ils apprennent encore comment tracer un signe d’établissement en menuiserie pour ne pas se perdre avec les assemblages des planches la prochaine fois. Lors de la remise en ordre de l’atelier, l’atmosphère est naturellement plus brouillonne et dissipée, mais l’enseignante est là pour leur rappeler de bien vérifier que tout soit à sa place dans les meubles numérotés.
Lors de ce temps passé en cours d’AC&M au CO, c’était vraiment chouette de voir l’entraide entre les élèves lorsque l’enseignante ne pouvait pas répondre immédiatement aux «Madame, madame» ainsi que l’absence de concurrence entre leurs projets, tous étant personnalisés. Le résultat final sera assurément à la hauteur de leur engagement.
INTERVIEW
Larissa Léger Vaudroz a un parcours atypique. Après son CO effectué à Sierre, elle a obtenu une maturité commerciale. Elle a travaillé quelques années comme employée de commerce avant une reconversion professionnelle à 180 degrés. Ayant perçu qu’elle avait un bon feeling avec les jeunes et passionnée par tout ce qui est manuel, Laurent Emery, alors animateur à la HEP et enseignant au CO des Liddes, lui a parlé de PIRACEF, le programme intercantonal romand de formation en emploi à l’enseignement des activités créatrices et de l’économie familiale. Pour parvenir à s’y inscrire sur dossier, elle a dû tenter sa chance par deux fois et a trouvé quelques périodes d’enseignement au CO de Grône. Puis elle a saisi l’opportunité de postuler au CO des Liddes qu’elle avait fréquenté en tant qu’élève, et a travaillé une brève période dans les deux cycles d’orientation. A Sierre, elle enseigne les AC&M et les arts visuels, selon une répartition variable définie d’année en année avec sa collègue Rachel Chollet. Actuellement, elle est par ailleurs titulaire d’une classe de 10CO. Pendant quelques années elle a été membre du comité de l’AVECO (association valaisanne des enseignants du cycle d’orientation) et a adoré cet engagement, mais à un moment donné ayant augmenté ses heures d’enseignement, le tout devenait difficilement compatible avec la vie familiale. En revanche, elle s’implique toujours dans la COBRA (commission de branches) «Arts et artisanat».
Comment percevez-vous le plan d’études en AC&M?
Il est très large et ouvert. Comme nous ne disposons d’aucun moyen d’enseignement en AC&M, nous devons faire preuve de créativité, ce qui est dans l’esprit de notre branche. J’apprécie cette liberté dans la conception des séquences. Avec ma collègue Rachel Chollet, nous proposons chaque année d’autres thèmes et d’autres approches aux élèves. Ma constante, c’est le travail du bois et du métal.
Est-ce facile d’amener les élèves à travailler ces matériaux?
C’est sûr que si on les laisse choisir, ils vont rester dans leur zone de confort et préférer les tissus ou les cartons. Aux Liddes, en fin de 11CO les élèves ont des bases en menuiserie et en serrurerie. Le but, c’est de les amener à maîtriser toutes les machines à notre disposition dans les ateliers et toutes les mesures de sécurité, mais évidemment il arrive que la couture ou le macramé soient intégrés dans les projets.
Cette découverte incite-t-elle des élèves à s’orienter dans ces domaines pour leur futur professionnel?
Ce n’est bien évidemment pas le but premier des ateliers d’orienter les jeunes vers les métiers de bûcheron, de menuisier, d’ébéniste ou de serrurier, mais chaque année l’un ou l’autre élève qui arrive à l’atelier est fasciné par un domaine qu’il ou elle ne connaissait absolument pas. C’est une ouverture qui leur est offerte.
Comment définiriez-vous votre rôle?
J’accompagne les élèves dans la réalisation de projets personnels à partir d’une consigne de départ et de contraintes techniques. Même avec des obstacles, ils doivent terminer leur travail pour savoir de ce dont ils sont capables. Quand on commence un projet, je leur demande ce dont ils auraient besoin, afin qu’ils aient envie de faire quelque chose qui leur plaît.
L’interdisciplinarité est-elle importante en AC&M?
Absolument. Les métiers pratiques impliquent d’avoir des connaissances théoriques dans divers domaines. Pour moi, l’interdisciplinarité est au cœur du CO, car les jeunes doivent avoir des bases en tout et être capables de faire des liens, afin qu’ils puissent s’orienter au mieux. Pour la menuiserie, il faut savoir calculer, connaître l’origine des bois utilisés, prévoir la gestion des déchets, etc.
Comment amenez-vous ces connaissances dans le domaine du bois?
Nous sommes dans un canton producteur de bois, et c’est relié à notre culture. Dans le Val d’Anniviers, les chalets sont construits grâce à un montage par assemblage avec des bois d’ici et c’est important que nos élèves voient cette richesse. En cours d’AC&M, ils ont un examen théorique sur ces connaissances. Pour les sensibiliser aux essences régionales, en début d’année, nous sommes allés à la forêt de Finges pendant les trois périodes d’un cours. C’était une balade à la découverte de cette magnifique pinède pour montrer le lien avec le bois découpé en planches à l’atelier, sachant que cela contribue à donner du sens aux apprentissages.
En cours d’AC&M, les élèves apprennent-ils à se responsabiliser?
C’est essentiel. Même si je n’ai fort heureusement jamais vécu de gros accident, c’est parfois chaud, car ils peuvent se blesser. En même temps, prendre ce risque est fondamental. Bien sûr, pour certaines activités particulièrement dangereuses, comme la soudure, je ne peux m’occuper que d’un élève à la fois, aussi le groupe doit apprendre l’entraide.
Dans votre cours, j’ai eu la sensation que l’attention des élèves était très focalisée sur la tâche en cours. Est-ce lié au fait qu’ils réalisent un projet personnel avec des machines nécessitant une maîtrise du geste?
Probablement en partie. Certains dans le groupe ont des comportements agités en classe ou dans la cour de récréation, mais sont mieux ancrés en atelier, car recentrés sur l’instant présent, ce qui les aide à se concentrer. Tout le monde bosse, avance, même si ces ados, pleins de vie, ont leurs moments de folie entre eux.
Le fait de travailler debout et en mouvement est-il apprécié?
Au début, certains ronchonnent parce qu’ils sont tellement habitués à être assis, cependant c’est bien de leur faire prendre conscience que dans toute une série de métiers on est debout plusieurs heures par jour.
Qu’est-ce qui vous enthousiasme le plus dans votre métier?
Clairement le côté créatif et les élèves. J’aime les questionner pour qu’ils trouvent par eux-mêmes les solutions.
Et quelle est la difficulté principale de votre job?
C’est assurément la gestion du temps et la constante faculté d’adaptation dont il faut faire preuve.
Estimez-vous que la branche AC&M est suffisamment reconnue au niveau de l’école et de la société?
Au niveau de l’école, oui et non. Quand on expose, tous mes collègues admirent le travail. En revanche, lors des conseils de classe, je trouve que les branches secondaires sont globalement insuffisamment reconnues. Certains élèves n’ont pas de bonnes notes dans les disciplines principales, mais sont à l’aise en atelier et font preuve d’autonomie, aussi ils réussiront leurs parcours professionnels s’ils s’orientent dans un domaine plus manuel, toutefois j’ai l’impression que le système de l’école aimerait les guider tous vers les études. En classe, je n’étais pas une élève «scolaire», donc je repère facilement ceux qui ne le sont pas et ont d’autres compétences. Dans la société et donc dans les familles, les AC&M n’ont pas non plus une image suffisamment valorisée, car souvent les parents ne font pas le lien avec les exigences des places d’apprentissage.
Avec le développement du numérique et de l’intelligence artificielle, pensez-vous que les aptitudes manuelles mériteraient d’autant plus d’être valorisées?
Dans les cycles d’orientation, je suis d’avis qu’il faudrait mettre en valeur les compétences manuelles. En plus, il y a une fierté à faire quelque chose de ses mains, avec sa propre créativité. Je trouve que même à la COBRA «Arts et artisanat» on ne milite pas assez pour que le numérique et l’IA n’envahissent pas tout à l’école. Il arrive que mes élèves utilisent un ordinateur pour une activité bien précise, cependant ce doit être ponctuel. Si on introduit dans nos cours les FabLabs, on perdra encore un peu plus le développement des aptitudes manuelles, ce qui nuira à l’orientation de certains jeunes. A mon sens, il faut d’abord savoir construire un cube avec ses mains avant d’utiliser la technologie pour créer des modèles sur une imprimante 3D. Au niveau cognitif, c’est comme si d’aucuns oubliaient l’importance du lien main-cerveau. La programmation, c’est bien, mais cela doit venir après le développement de certaines compétences de base et par ailleurs l’être humain a besoin pour sa santé mentale de pouvoir s’exprimer avec sa créativité.
«Au niveau cognitif, c’est comme si d’aucuns oubliaient l’importance du lien main-cerveau.»
Larissa Léger Vaudroz
Comment dessineriez-vous le programme dans votre école idéale?
Au CO, je proposerais une multitude d’ateliers pratiques pour aider les élèves à choisir leur projet professionnel. Je trouverais bien qu’ils puissent avoir des occasions de sortir de l’école pour tisser des liens avec des métiers. J’aimerais aller voir un menuisier ou en inviter un dans le cadre des cours AC&M et pour ceux d’arts visuels, cela me plairait d’aller visiter les expositions à la Fondation Gianadda, mais c’est compliqué, ne serait-ce que par manque de temps. La théorie s’ancre tellement mieux si on voit à quoi ça sert dans la pratique. Par ailleurs, je remplacerais les notes par des objectifs à évaluer, au moins dans les branches créatives comme les AC&M et les arts visuels. Certains élèves arrivent en affirmant qu’ils sont nuls dans ces branches, alors que tout le monde peut progresser, cependant pour ce faire l’évaluation par objectifs me paraît plus efficace. Tout en disant cela, je dois préciser que je trouve que notre école ne va pas si mal, car le programme offre déjà une grande variété disciplinaire et que chaque école a la possibilité de mener des projets d’établissements qui soudent l’équipe.
A ce propos, le CO des Liddes se relance-t-il dans une comédie musicale, laissant place à la créativité des décors?
Oui, comme tous les deux ans, parce que c’est un projet qui laisse des souvenirs magiques. Cette année, nous sommes quatre enseignants à porter le projet, mais tous les autres sont disponibles pour donner un coup de main. Il y a deux ans, les élèves qui voulaient participer aux décors venaient le jeudi sur le temps de midi. Notre CO est une petite structure, ce qui permet de tous se connaître et c’est essentiel, car la dynamique d’une école passe par le lien entre les professeurs et avec les élèves ainsi que grâce au soutien de la direction.
Propos recueillis par Nadia Revaz