Corinne Bussien, enseignante au CO de Monthey, raconte Livres en chœur
Corinne Bussien est adjointe de direction et enseigne l’anglais au Cycle d’orientation du Reposieux à Monthey. Elle parle avec enthousiasme de l’opération Livres en chœur, librement inspirée de Silence, on lit!
Ainsi qu’elle le relève, dans cette formule adaptée au CO montheysan, «chœur» s’écrit avec «ch», comme celui qui donne du rythme à la vie de l’école, mais sonne comme le «cœur» avec «c».
Ce projet, qui va se poursuivre l’année scolaire prochaine, a été lancé en décembre 2019. Deux fois par année, pendant quelques semaines, du lundi au vendredi, sauf le mercredi où le quart d’heure est facultatif, tout le CO s’arrête pour lire en silence, des élèves aux enseignants, en passant par la direction, le personnel administratif et la conciergerie. Avec la crise sanitaire, l’école a aussi expérimenté la version confinée où chacun était invité à ce moment de communion à distance et si tous ne l’ont probablement pas vécu, certains en ont parlé. Cette année, l’initiative a été menée avant Noël, cependant elle ne sera pas reconduite avant Pâques, car le CO vit à l’heure d’un tout grand projet, puisque pour ses 50 ans il se met au vert.
«Le fait que tout le monde s’arrête en même temps
pour lire crée un sentiment d’appartenance à l’école.»
Corinne Bussien
INTERVIEW
Comment est né ce projet d’établissement?
Tout est parti d’un reportage de la RTS à propos de Silence, on lit! C’est en en discutant avec une collègue qu’a germé l’idée de laisser place à un espace de lecture dans notre école, sachant qu’à la maison la plupart des adolescents ne sont jamais sans leur téléphone à portée de main, avec des notifications qui viennent interrompre le calme et la sérénité de la lecture.
Du fait que cette action de promotion de la lecture ne concerne pas exclusivement les enseignants de français, vous a-t-il fallu convaincre?
Tout le monde était partant. Cette initiative a été certes vue par les profs de français comme un plus pour leur cours, mais pour les autres l’engouement a été général, avec parfois de légères réticences en lien avec le programme.
Quel est l’objectif de ce quart d’heure de lecture silencieuse?
Il est modeste. Le but, c’est que toutes les personnes présentes dans l’établissement s’arrêtent au retentissement de la sonnerie spéciale pour bénéficier de ces minutes de lecture silencieuse et collective.
L’organisation a-t-elle évolué au fil des éditions?
En décembre 2019, le quart d’heure de lecture avait lieu tous les jours après la récréation, et nous avons constaté que cette régularité était difficile à gérer pour certains enseignants, qui perdaient trop de minutes de cours. Nous avons alors opté pour un horaire identique du lundi au vendredi, mais différent chaque semaine. Malgré ce compromis, l’objectif de faire de la lecture un réflexe demeure.
Livres en chœur ne se déroule pas sur toute l’année. Pourquoi ce choix?
Cela nous paraissait plus raisonnable de mener ce projet sur quelques semaines. Si nous avons choisi la période de l’Avent et avant Pâques, c’est parce qu’à ces moments-là, l’ambiance scolaire est un peu plus électrique.
Les élèves ont-ils le libre choix de leurs livres?
Oui, même si le prof qui est avec eux en classe à ce moment-là fait un rapide contrôle, en regardant uniquement le critère de violence. Nous évitons les BD, estimant qu’ils en lisent souvent déjà à la maison et que ce n’est pas le meilleur format pour une lecture sur plusieurs jours.
Corinne Bussien apprécie ce court temps de lecture au calme.
Dans votre classe, comment les adolescents vivent-ils cette lecture?
Parfois les premières minutes peuvent leur sembler longues ou bizarres. S’ils oublient leur livre, je leur propose de lire en anglais, par exemple «Diary of a Wimpy Kid». Un jour, un élève, habituellement agité, mais qui n’avait vraisemblablement pas envie de lire, est resté tranquille, du coup je ne l’ai pas dérangé, car le but est non seulement d’inciter au plaisir de lire, mais aussi de se poser.
Quelles sont à vos yeux les forces de cet espace de lecture en silence?
Le fait que tout le monde s’arrête en même temps pour lire crée un sentiment d’appartenance à l’école. Dans un établissement avec plus de 500 élèves, le bruit du silence est assez magique. Certains soupirent, mais se prennent progressivement au jeu, sans forcément le réaliser ou l’avouer. Cela a surtout enrichi les discussions autour de la lecture entre copains. Quelques-uns découvrent des camarades qui dévorent leur livre, vont régulièrement à la médiathèque ou à la bibliothèque, et sont intrigués. Ce que j’adore, c’est de les voir s’échanger des livres, car lorsque c’est un ami qui le recommande, cela change tout. Dans ce contexte de lecture collective, les élèves qui n’aiment pas lire ont plus de chance de rencontrer le livre qui leur fera tilt.
Avez-vous vécu des anecdotes marquantes lors de Livres en chœur?
Un mercredi où je n’avais pas prévu de faire ce quart d’heure de lecture, puisque c’est facultatif ce jour-là, j’ai vécu la scène où ce sont des élèves qui ont demandé s’ils pouvaient lire. J’ai alors changé mon programme et nous avons lu. Régulièrement, comme ils ont toujours un livre sur eux, certains prennent l’habitude de lire lorsqu’ils ont terminé en avance une activité ou un examen. Je me souviens aussi de cette élève râlant à chaque fois et qui, plongée dans sa lecture, s’est un jour exclamée lorsque la sonnerie a retenti: «Quoi, c’est déjà fini!». De manière discrète, j’ai savouré cet instant, me disant que pour elle c’était gagné, car elle avait au moins une fois expérimenté la lecture-plaisir.
Entre adultes, vous échangez-vous des livres?
Lors de la première édition, les adultes qui n’étaient pas en classe pendant les quinze minutes de lecture pouvaient, s’ils le souhaitaient, se réunir en salle des maîtres, aussi l’échange de livres entre nous était plus fréquent.
Comment définiriez-vous votre profil de lectrice?
J’ai des lectures variées, aussi je me définis plutôt par ce que je n’aime pas du tout, en particulier la science-fiction. J’aime les livres bien écrits et je lis lentement, parce que je lis à voix haute dans ma tête. J’ai longtemps été une grande lectrice, puis j’ai eu une période où je n’avais plus vraiment l’envie de lire, mais depuis quelques années j’ai retrouvé ce plaisir, à dose toutefois nettement moins intense que plus jeune. Cette lecture quotidienne silencieuse m’est aussi bénéfique.
Quels conseils donneriez-vous à des écoles qui souhaiteraient s’inspirer de votre démarche?
A mon sens, il est essentiel de prendre le temps de réfléchir à l’horaire idéal pour son école. A part cela, ce joli projet est particulièrement simple à mettre sur pied. Au cycle 2, gérer ces quinze minutes tous les jours à la même heure devrait être plus facile, ce qui renforce le côté rituel de ce moment.
Propos recueillis par Nadia Revaz
Silence, on lit!
Le site français de Silence, on lit!, qui essaime dans ses actions répertoriées jusqu’au canton de Genève, accompagne la mise en œuvre de son initiative du quart d’heure de lecture quotidien.