Sébastien Moret, un enseignant-coach
Sébastien Moret croit à l’impact des phrases inspirantes.
INTERVIEW
Pourquoi avez-vous choisi d’enseigner à l’ECCG-EPP de Sion?
Lorsque j’étais au CO à Vouvry, où j’ai vécu une expérience professionnelle formidable, j’avais dit à mon directeur que je ne postulerais qu’à un seul endroit, à savoir l’école où je suis actuellement. J’y avais fait mon collège, en classe de maturité socio-économique, et l’établissement scolaire accueillait déjà plusieurs sections et donc des publics d’âges différents, avec des objectifs de vie très divers. C’est ce qui en fait sa richesse si particulière, en plus de son côté très humain.
Dans votre métier d’enseignant, quel est le carburant de votre motivation?
Ce qui me motive le plus, c’est d’accompagner l’épanouissement des compétences de chacun de mes élèves. Voyant assez facilement les forces des autres, j’ai l’envie de trouver les boutons sur lesquels appuyer pour que chacun prenne la mesure de son potentiel. En EPP, les jeunes arrivent souvent avec des frustrations liées à leur parcours scolaire ou personnel, et mon but premier est de les amener à changer de regard sur eux-mêmes.
«Je répète à mes élèves de travailler fort,
de rêver grand
et de ne jamais abandonner.»
Sébastien Moret
Cette transformation est-elle aisée à opérer?
«Là où se trouve une volonté, il existe un chemin» (ndlr: il s’agit d’une citation de Winston Churchill affichée dans sa classe). Les élèves doivent comprendre que si l’on bosse, peu importe le temps que ça prend, on peut se fixer des objectifs et les atteindre.
Que commencez-vous par dire à vos élèves en EPP à la rentrée?
Dès le premier jour, je leur annonce que je serai leur coach pendant une année. J’emploie volontairement ce mot, en leur précisant que je n’ai pas besoin de les connaître pour savoir qu’ils sont tous compétents et qu’ensemble on va faire en sorte que leur potentiel explose. Ensuite, je leur présente les phrases inspirantes affichées dans ma salle de classe, issues d’univers très différents pour que chacun puisse s’accrocher à l’une d’elles. Pendant l’année, je répète à mes élèves, jusqu’à les saouler, car je suis bavard en classe, de travailler fort, de rêver grand et de ne jamais abandonner. A l’école, mais pas seulement, on retient trop les échecs, ce qui finit par conduire à la démotivation.
Comment dans ce contexte parvenir à motiver les élèves?
La première chose, c’est de leur dire qu’ils sont importants et que ce que l’on apprend en classe ne se résume pas à des résultats chiffrés évaluant des compétences scolaires. Certains élèves connaissent bien leurs forces, tandis que d’autres ont besoin d’un regard externe pour les percevoir. Du côté de l’orientation, j’insiste pour qu’ils comprennent qu’ils doivent persévérer pour obtenir un «oui» parmi parfois de très nombreux «non». Le parcours non linéaire de différentes personnalités en est l’illustration.
Vous-même avez un esprit de compétition. Comment concilier cette approche avec une dimension collaborative des apprentissages?
Pour moi, les deux ne sont pas contradictoires, car la compétition se fait d’abord avec soi-même. L’effort et le plaisir d’apprendre sont à relier, tout comme la collaboration et la compétition. Au début des cours, je donne à mes élèves une fable à apprendre, en leur laissant le choix entre Le Loup et l’Agneau dans sa version classique de La Fontaine ou Le Gypaète barbu et le Loup des contes de Tonton Benohit. S’ils parviennent à mémoriser le texte, ils commencent ainsi avec une bonne note, ce qui leur permet de prendre conscience de leur capacité à apprendre. A partir de là, on peut augmenter progressivement les exigences.
Savoir apprendre à apprendre, n’est-ce point un élément essentiel pour que le programme scolaire puisse devenir passionnant?
Assurément. En EPP, les élèves ont divers modules au fil de l’année pour améliorer leurs stratégies pour apprendre à mieux apprendre. Ils apprennent à gérer l’agenda, s’organiser, préparer un examen, etc. Par le biais du parcours de mes enfants, j’ai l’impression que les enseignants de tous les degrés ont de plus en plus conscience de l’importance de cette dimension. Il suffit parfois de trucs tout simples pour se faciliter la tâche d’apprentissage. J’invite mes élèves à partager leurs astuces entre eux, ce qui est encore plus efficace.
L’une des caractéristiques de l’EPP est de privilégier l’apprentissage par projet. Serait-ce aussi l’une des stratégies possibles pour mobiliser les élèves?
Ce qui est génial avec l’approche par projet, c’est que cette démarche contribue au développement des compétences transversales et incite les élèves à s’impliquer davantage. Les jeunes vont par exemple découvrir qu’ils sont capables de s’exprimer en public, de travailler en groupe, de gérer la dimension informatique, etc. Cette approche intégrée dans la grille horaire est incontestablement l’un des atouts de l’EPP.
Vous dites «l’un des atouts»: y en a-t-il un autre qui vous vient spontanément à l’esprit?
En EPP, les élèves ont deux heures d’AMT (ndlr: approche du monde du travail) où l’on fonctionne en demi-classes. Par rapport au CO, ce temps supplémentaire permet de tous les accompagner dans la construction de 2 ou 3 projets, sachant que ce n’est pas parce qu’ils commencent par leur option 2 ou 3, sorte de compromis noble, qu’ils n’atteindront pas ultérieurement la voie qui les enthousiasmait le plus. Dans leur carnet scolaire, les élèves en EPP ont aussi des notes sur leurs attitudes, dont l’autonomie, la persévérance, la collaboration, la ponctualité ou la qualité du travail, ce qui les aide à progresser à l’école et dans la vie.
Avec ces différents objectifs, d’aucuns pourraient se demander si l’EPP parvient à mettre suffisamment l’accent sur les apprentissages liés aux branches du programme…
Comme dans notre établissement scolaire, les enseignants en EPP travaillent aussi en école de commerce et/ou de culture générale, les exigences à atteindre sont connues. Via les notes, nous ne leur vendons pas du rêve, car nous sommes responsables de leurs résultats l’année suivante. Notre fierté, c’est de constater les taux de réussite des élèves sortants de l’école préprofessionnelle. Très souvent, ils avaient juste besoin de faire quelques pas de côté sur ce chemin de l’EPP où l’on s’arrête peut-être plus facilement pour féliciter les réussites, voir les progrès accomplis et lancer de nouveaux défis.
Pour conserver votre flamme professionnelle, échanger avec des collègues est-il important?
Evidemment. En français, au sein de l’établissement, nous formons un groupe absolument incroyable et nous mettons beaucoup en commun, de façon à ne pas gaspiller notre énergie en voulant réinventer la roue. En EPP, dans le cadre des projets interdisciplinaires, nous fonctionnons en petits groupes de profs et c’est aussi très stimulant. Dans les cours de culture générale, avec deux collègues, nous participons cette année au Roman des Romands et nos rencontres nous permettent d’échanger de nouvelles idées pour nos cours, dès lors ce projet n’est pas seulement porteur pour les élèves. L’on pourrait même aller plus loin en partageant nos manières de faire avec des collègues d’autres écoles et d’autres degrés.
Sachant que certains enseignants perdent de leur entrain, y aurait-il à vos yeux une stratégie à adopter pour ne pas se laisser gagner par une forme de lassitude?
Je pense que c’est en partie relié à la façon dont on perçoit la vie en général. Certains fixent leur attention sur un problème et ne voient que cela, alors que d’autres, comme moi, se focalisent sur les solutions qui pourraient être mises en œuvre. Dans le contexte compliqué actuel, il me semble important de relever tout ce qui va bien.
L’une des citations dans la classe de Sébastien Moret.
Diriez-vous que votre motivation pour l’enseignement et la médiation est constante, ou avez-vous vécu des moments de découragement?
Chez moi, la tendance est à l’enthousiasme, car je m’éclate dès que je découvre quelque chose de nouveau. J’ai parfois l’impression d’être un extraterrestre, avec des classes fantastiques qui se succèdent. Il y a bien eu une volée avec laquelle c’était plus difficile à gérer, mais c’était une période où j’étais un peu épuisé pour d’autres motifs que scolaires, donc je ne peux pas la rendre responsable. En étant médiateur, je sais que certains de nos ados vivent des choses terribles. Conscient de n’avoir pas le pouvoir d’influencer les événements, je peux juste les épauler pour traverser ces moments difficiles. Ma chance, c’est de savoir garder la bonne distance pour ne pas être impacté négativement. Toujours orienté vers l’action, je préviens les élèves pour qu’ils ne soient pas étonnés de ma manière de réagir, loin du registre de l’émotion.
Est-ce pour vous un comportement inné ou acquis?
J’ai toujours été comme cela dans la vie et à l’école c’est pareil. En classe, j’essaie de me rappeler comment j’étais en tant qu’élève et je ne prends pas immédiatement contre moi toute action ou non-action. Dans l’enseignement, il faut savoir que les élèves ne nous écoutent pas en permanence et que notre métier manque de reconnaissance. Contrairement à d’autres professions, nous avons cependant la chance d’avoir parfois des retours d’élèves bien des années plus tard, lorsqu’on les croise par hasard. Mes anciens élèves savent qu’ils peuvent me contacter pour venir en classe témoigner de leur parcours.
Comment avez-vous eu cette idée de témoignages d’anciens élèves?
Avec ma collègue Sabine Varone, nous avons commencé par inviter des patrons à la rencontre de nos jeunes en EPP, pour pallier le déficit d’image de la filière. Et il nous a semblé très vite logique que d’anciens élèves puissent intervenir en classe pour raconter comment ils avaient évolué après leur passage en EPP. Rencontrer des jeunes qui se sont accrochés à leurs rêves, ont fourni des efforts pour avancer d’étape en étape, c’est l’espoir dont mes élèves pendant leur année en EPP ont besoin.
««Dans le contexte compliqué actuel,
il me semble important de relever tout ce qui va bien.»
Sébastien Moret
Que vous apportent vos élèves en EPP?
A force de leur dire d’oser et de se dépasser, ils m’épatent et me renvoient à mes propres limites. En observant l’audace dont ils font preuve sur mes conseils, j’ai décidé de me lancer dans un projet sportif complètement fou. Je me prépare évidemment à ne pas atteindre mon objectif, mais je fais tout pour y parvenir. En leur parlant de mon expérience personnelle, mes élèves voient la cohérence entre ce que je dis et ce que je fais. Cette authenticité me semble essentielle.
Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous dans votre classe ou dans l’école valaisanne?
Sans hésiter, je choisis de rêver grand. J’aimerais qu’adultes et jeunes prennent conscience que tout est possible avec de la volonté. Je crois en l’audace et la prise de risque, tout en n’occultant pas les obstacles et le fait qu’il faut parfois prendre des chemins de traverse pour atteindre son objectif. Je voudrais que chacune et chacun ait conscience de ses compétences, et se serve dans le même temps de ses fêlures pour progresser. A ma modeste échelle, c’est l’état d’esprit que j’essaie d’insuffler, mais pouvoir le faire dans le monde entier, donc au-delà de l’école valaisanne, lèverait bien des barrières que les êtres humains se mettent inutilement. Et je souhaiterais que tout le monde en Suisse mesure la chance que nous avons avec notre système de formation et ses nombreuses passerelles.
Propos recueillis par Nadia Revaz