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Colloque sur le plurilinguisme à Davos: la Suisse plurilingue et ses défis

En novembre 2023, un colloque sur le «plurilinguisme dans une perspective scientifique, scolaire, économique et politique» a été organisé au Centre de congrès de Davos en collaboration avec les HEP des Grisons, du Valais et du Tessin, sur mandat de l’Office fédéral de la culture (OFC).

Equipe HEP Valais – une partie de la délégation valaisanne à Davos
De gauche à droite: Isabelle Capron Puozzo, Caroline Imhof, Christine Zengaffinen,
Christiane Clavien, Karen Matysiak, Erica Borloz, Sebastian Salzmann, Bernhard Rotzer

Dans son discours d’ouverture, le directeur de la HEP des Grisons, le professeur Gian-Paolo Curcio, a souligné que les langues sont un outil puissant qui contribue à la compréhension culturelle et à la promotion de l’identité suisse. En effet, la Suisse fait partie d’une nation fondée sur la volonté politique, composée de différents groupes linguistiques, et un esprit commun constructif est donc fondamental pour le bon fonctionnement de l’Etat. Le plurilinguisme est l’une des caractéristiques importantes de la Suisse. Cette idée de multilinguisme doit toutefois faire face à quelques défis, car l’anglais joue un rôle dominant pour les jeunes à l’école et la question se pose de savoir pourquoi il faut apprendre d’autres langues en plus de l’anglais. Cette question est encore exacerbée par l’émergence de l’intelligence artificielle, car dans ce contexte, l’apprentissage des langues est généralement modifié, voire remis en question. Dans cette situation, les habitants de ce pays sont exposés à un risque d’aliénation culturelle, ce qui va à l’encontre de la cohésion de la nation et de la caractéristique essentielle de la Suisse quadrilingue. Partant de ces défis sociaux, le colloque avait pour objectif d’établir un état des lieux de la recherche sur le plurilinguisme et de répondre aux questions suivantes: quelle contribution la recherche sur le plurilinguisme a-t-elle pu apporter jusqu’à présent à la promotion de l’apprentissage des quatre langues nationales et quels sont les leviers qui pourraient être actionnés à l’avenir? Afin d’approfondir cette thématique, 65 contributions de recherche ont été présentées lors du Colloque de deux jours sur les sept champs thématiques suivants:

1. enseignement bilingue, immersion
2. plurilinguisme et didactique du plurilinguisme
3. plurilinguisme et numérique
4. objets linguistiques intégratifs
5. formation des enseignants et plurilinguisme
6. opportunités éducatives et plurilinguisme
7. éducation plurilingue

En raison de la diversité des présentations relatives aux domaines prioritaires susmentionnés, nous allons maintenant nous pencher brièvement sur quelques-unes des conclusions de cette conférence.

 
Conclusions de la conférence

Lors de la conférence, il a été possible de démontrer que les approches immersives doivent être considérées comme centrales dans l’apprentissage des langues étrangères. En outre, les chercheurs ont évoqué les diverses possibilités didactiques de l’enseignement bilingue, dont une présentation claire constitue un desiderata. Les conclusions tirées de l’enseignement bilingue doivent permettre de regrouper les synergies des différents modèles d’enseignement et de les rendre utilisables. La didactique du plurilinguisme, qui semble prometteuse dans le paysage scolaire suisse complexe, peut être rattachée à l’enseignement bilingue, mais l’efficacité d’une telle didactique est encore difficile à évaluer en raison du manque de matériel empirique. Dans leurs contributions, les chercheurs ont exposé des approches didactiques utiles dans l’enseignement plurilingue, un rôle important pouvant être attribué en particulier aux enseignants.

De plus, les personnes intéressées se sont tournées vers la pédagogie de la migration. La Suisse étant un pays d’accueil, les salles de classe se remplissent d’enfants d’origines culturelles et linguistiques très diverses. Dans ce domaine, le congrès a permis d’échanger sur la manière d’intégrer les enfants parlant une autre langue dans le quotidien scolaire et de les soutenir. Enfin, les contributions ont également porté sur les chances de formation. A cet égard, les contributeurs ont mis l’accent sur les langues minoritaires comme l’italien et le romanche. Les chercheurs s’accordent à dire que pour les membres de ces minorités linguistiques, l’apprentissage de l’allemand n’est pas seulement une nécessité, mais qu’il doit aussi être associé à des défis. Pour pouvoir aborder cette problématique de manière efficace, il faudrait encore collecter et évaluer d’autres données empiriques. Ces exemples montrent que la didactique du plurilinguisme est un domaine d’intérêt complexe et qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir dans le paysage de la recherche pour tenir compte de la diversité linguistique dans les écoles suisses.

Recommandations

Les projets présentés présentent une grande diversité thématique, qui se concentre principalement sur des questions liées à l’enseignement et qui a tendance à aborder des champs thématiques didactiques. En raison de cette focalisation sur les questions didactiques, les domaines d’intérêt liés aux processus actuels de changement social ont été plutôt laissés de côté. Même si les questions didactiques au sein de la salle de classe doivent faire partie des évidences de la recherche, les facteurs sociaux qui influencent l’apprentissage des langues étrangères devraient être davantage pris en compte, comme nous le présentons ci-dessous de manière sélective sous forme de mots-clés.

- Avantages et inconvénients éducatifs dans un contexte multilingue
- L’influence de l’intelligence artificielle dans l’apprentissage des langues étrangères
- Le traitement des langues majoritaires et minoritaires à l’école
- L’apprentissage précoce dans le multilinguisme
- Le plurilinguisme à différents niveaux d’enseignement et à différents degrés scolaires

Une synthèse plus détaillée sur les desiderata de la recherche peut être consultée dans le rapport final du «Colloque sur le plurilinguisme 2023» de la HEP des Grisons.

Observations de la journée

Afin d’approfondir la sauvegarde des résultats, une chercheuse et deux chercheurs ont consigné leurs observations de la journée. Ainsi, le Dr Anna Schnitzer, qui travaille à l’université Martin Luther de Halle-Wittenberg, a attiré l’attention sur la catégorisation des groupes linguistiques. La chercheuse allemande constate que certaines langues sont marginalisées et considérées comme moins valables que d’autres. Dans une Suisse multilingue, la complexité doit être prise en compte dans le système scolaire. Dans sa conclusion, Schnitzer plaide pour une réflexion accrue sur les catégorisations dans la recherche, mais aussi dans la formation des enseignants, et pour une prise de conscience de la marginalisation possible de certains groupes linguistiques. Les réflexions du professeur Rico Cathomas, expert en langues romanes à la HEP des Grisons, sur le plurilinguisme, en tant que champ de recherche hautement complexe, peuvent être rattachées à ce sujet. Selon ses conclusions, les locuteurs natifs et les minorités doivent fournir un effort plus important que les membres des grandes dénominations linguistiques pour acquérir des compétences plurilingues. Cathomas va même jusqu’à dire que pour les groupes minoritaires, l’apprentissage des langues étrangères n’est pas en premier lieu un plaisir, mais que les compétences linguistiques acquises font même partie de la stratégie de survie. Le chercheur grison aborde en outre les défis de la minorité romanche. Enfin, Cathomas conclut que la mise en œuvre d’un enseignement linguistique réussi peut être garantie par le respect de critères didactiques, par exemple en maintenant une gestion de classe efficace, en se basant sur les connaissances antérieures, en maîtrisant des tâches d’apprentissage encourageantes et en appliquant une culture de feedback constructive.

Conférence de Raphael Berthele
Source: Tagung Mehrsprachigkeit 2023

En conclusion, le professeur Vincenzo Todisco, spécialiste du plurilinguisme et de la didactique de l’italien à la HEP des Grisons, a constaté que l’apprentissage ne faisait pas partie des matières préférées des adolescents à l’école et que, selon Raphael Berthele, on ne pouvait guère partir du principe d’une motivation intrinsèque chez les élèves. Il faut en outre tenir compte du fait que les enseignants du primaire sont des généralistes et qu’on ne peut pas exiger d’eux une expertise en matière de didactique du plurilinguisme. Todisco en conclut que la recherche sur le plurilinguisme doit répondre à des exigences élevées et qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Le didacticien du plurilinguisme grison s’est également penché sur l’émergence de l’intelligence artificielle, qui modifiera l’enseignement en général. Nous devons ici nous interroger de manière critique sur les avantages que cette intelligence apportera à l’apprentissage des langues. Une chose semble certaine: la communication interpersonnelle continuera à être une composante importante de l’enseignement. A Davos, les chercheurs se sont penchés sur l’enseignement des quatre langues nationales suisses, car l’étude de celles-ci a un effet constructif sur la cohabitation nationale. En tant qu’observateur attentif, Todisco pose là aussi des questions critiques pour savoir si les quatre langues nationales sont vraiment le ciment de la Suisse, étant donné que la Suisse actuelle n’est plus un pays quadrilingue mais multilingue et que les langues de migration gagnent en importance. Ce qui est sûr, c’est que l’apprentissage d’une deuxième langue nationale ne semble plus être partout gravé dans le marbre. C’est sur ces questions et bien d’autres encore que la didactique du plurilinguisme doit faire des recherches et trouver des réponses. Et peut-être que l’objectif principal à l’école pourrait être d’enthousiasmer les enfants pour les langues étrangères grâce à une didactique bien pensée et de faire de l’apprentissage des langues une expérience grâce à des offres variées. Dans ce contexte, la recherche doit davantage tenir compte du rôle des enseignants, qui n’a peut-être pas été suffisamment abordé. Todisco postule que dans les projets de recherche, les enseignants doivent être davantage impliqués sur le terrain et que la pertinence pour l’enseignement doit être rendue visible auprès des acteurs. Dans ce contexte, le colloque de Davos peut être considéré comme positif, car il a permis à de nombreux chercheurs de débattre de manière critique de la didactique du plurilinguisme.

colloque1

L’ensemble vocal Incantanti des Grisons
Source: Tagung Mehrsprachigkeit 2023

Mise en réseau à Davos

La manifestation scientifique a été encadrée par un programme culturel. Le public devrait notamment garder un bon souvenir de la chorale «Incantanti», qui, dans l’esprit du multilinguisme, a fait preuve de ses talents musicaux dans les quatre langues nationales suisses. Lors du Conference Dinner, les participants ont pu élargir et approfondir leurs contacts au centre de congrès de Davos autour d’un bon repas et d’un bon vin. Le dîner a été précédé d’une table ronde sur le plurilinguisme, à laquelle ont participé des personnalités de premier plan. Ce colloque sur le plurilinguisme s’est avéré être un enrichissement, notamment pour la collaboration entre les HEP des Grisons, du Valais et du Tessin.

HEP Valais
Bernhard Rotzer
Erica Borloz