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Créativité en action: expérience d’enseignement et d’apprentissage créatifs en langues

Etant enseignante d’allemand et d’espagnol, j’ai été amenée durant ma formation à la HEP de Saint-Maurice à travailler sur ma relation avec la créativité. J’ai pris conscience qu’il ne s’agit pas de rajouter de la créativité à notre enseignement, mais plutôt d’enseigner et d’apprendre créativement. 

Deux notions illustrent parfaitement cette idée: 

a) Enseigner pour la créativité et
b) Enseigner créativement

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En d’autres termes, l’enseignant a) met en place des dispositifs didactiques qui favorisent la créativité des élèves pour mieux apprendre et/ou b) il mobilise sa propre créativité pour créer des dispositifs didactiques différents dont il a l’habitude (sollicitant la créativité des élèves… ou pas!), en se distanciant un peu des approches frontales, transmissives. 

Les élèves seront amenés à participer davantage, à communiquer, à collaborer ou par exemple à utiliser des technologies pour atteindre les objectifs disciplinaires visés. Le processus didactique reste le même (utiliser le PER, déterminer les objectifs, prendre en compte les variables de la classe, choisir les tâches, penser à l’évaluation), mais ce sont le choix des tâches, et les modalités de travail qui vont varier.

C’est dans cette perspective que j’ai moi-même fait l’expérience d’une pédagogie de la créativité. Durant mes stages d’espagnol au Collège, j’ai eu la responsabilité de créer une séquence d’enseignement avec des élèves de 4e année, plus précisément de niveau B1. Le savoir visé était la conjugaison des verbes au passé simple, à l’imparfait et au plus-que-parfait. Après avoir analysé cet objet, j’ai déterminé un objectif d’apprentissage à atteindre à la fin de la séquence, à savoir «créer une vidéo du récit, en espagnol, d’une aventure vécue dans le passé». Cet objectif était lié aux exigences attendues d’un apprenant de niveau linguistique B1 et décrites dans le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), mais j’ai choisi de la mettre en œuvre de façon différente, en leur demandant de se mettre dans la peau d’une influenceuse ou d’un influenceur et de se filmer pour raconter leur aventure, afin d’impacter la dimension émotionnelle, les engager dans la tâche et passer par le niveau le plus élevé de la taxonomie d’apprentissage; créer.

En leur demandant de se filmer, je prenais des risques (mauvaise qualité de la vidéo, trop de timidité et de stress, problèmes techniques). J’ai également ressenti des peurs comme celle de l’inconnu (Dans quelle direction vais-je? Est-ce que cela aboutira à un résultat?), de l’échec (Et si cela ne fonctionnait pas et que les élèves n’adhéraient pas au projet?), de commettre des erreurs (Si je me trompe, comment vais-je y remédier?), du regard des autres et de leurs jugements (Est-ce que ma formatrice validera ma séquence? Que penseront les autres collègues?) d’être absurde (Est-ce que cela a-t-il réellement du sens de prendre le rôle d’un influenceur? N’est-ce pas donner des idées illusoires aux élèves?). J’ai pris du temps pour m’isoler afin de tenter de comprendre et de raisonner ces peurs. Si je souhaitais emmener mes élèves jusqu’au produit final, je devais donc lâcher-prise «sur une zone de confort pour [me] sentir libre d’explorer les possibles. [Par conséquent,] accepter l’inconnu du résultat où il n’y a pas qu’une seule solution induit une ouverture d’esprit à l’aléatoire tant sur le résultat que sur le processus mené». (Capron Puozzo & Cavalla, 2018). 

Une fois la séquence terminée, je l’ai analysée et je me suis aperçue de la plus-value de cette prise de risque; en effet, j’ai noté une implication réelle des élèves, beaucoup plus importante que dans mes cours habituels. En créant ce projet, je me suis intéressée à mes élèves, à leurs intérêts et leur ai donné la possibilité de créer eux-mêmes, dans un contexte qui les touche émotionnellement (influenceurs et réseaux sociaux). Si certains ont eu du mal à se détacher de l’écrit pour «raconter» de façon fluide sans lire leur texte, tous ont été motivés du début à la fin du projet à la fois par la forme du travail à réaliser et par le fait d’avoir en tête la production finale, qui donnait du sens à leur travail et le valorisait. Tous les élèves ont produit des vidéos de qualité, où l’objectif de la séquence a été atteint sans avoir à les pousser. Par ailleurs, et non des moindres, j’ai pris du plaisir à créer quelque chose par moi-même, en osant lâcher-prise sur les moyens d’enseignement et conscientisant et affrontant mes peurs. Une enseignante qui a du plaisir à enseigner, et des élèves qui ont du plaisir à apprendre, cela vaut la peine d’essayer… et de lâcher-prise, non?

Aline Roh, étudiante HEP-VS & Terzidis Amalia, professeure HEP-VS

BIBLIOGRAPHIE:

Capron Puozzo, I., & Cavalla, C. (2018). Le lâcher-prise, un microprocessus conatif nécessaire à la créativité dans l’apprentissage? In Emotissage. Les émotions dans l’apprentissage des langues. Presses universitaires de Louvain. pp.129-139. 

En ligne: https://hal.science/hal-01890668, consulté le 22 avril 2024. 

Jeffrey, B., & Craft, A. (2004). Teaching creatively and teaching for creativity: distinctions and relationships. Educational studies, 30(1), 77-87. 

Terzidis, A. (2024). Cours Teach outside the box. Haute école pédagogique. St-Maurice.